Concilier l'excellence et la justice sociale

Depuis sa fondation en 1948, Sciences Po Bordeaux a été un acteur de la « société du concours », concept critiqué par la sociologue Annabelle Allouch en 2017. L'établissement inscrit sa politique d'égalité des chances dans un débat émergeant au début du XXIe siècle dans le milieu des grandes écoles françaises. Les initiatives menées à Sciences Po Paris dès 2001, à l'ESSEC dès 2002, ainsi que les actions contemporaines d'autres IEP en France, nourrissent ce débat à Bordeaux.

Le « tournant moral » de la sélection opérée par Sciences Po Bordeaux

La question de l'ouverture sociale et territoriale de Sciences Po Bordeaux remonte bien avant le début du XXIe siècle : dès les années 1960, l'établissement a veillé à mieux informer les candidats et à rendre les épreuves du concours d'admission plus transparentes. Malgré cela, la ségrégation sociale et territoriale persistait à l'entrée de l'école. Ainsi, le débat émergent au début du XXIe siècle marque un véritable changement moral, comme le souligne Annabelle Allouch (2017) : « conscient des biais de son processus de recrutement, l'école s'engage à diversifier ses critères d'admission ».

En choisissant un nom à connotation méritocratique (« Je le Peux Parce que Je le Veux ! ») et en travaillant à lever l'autocensure à travers son programme (en préparant les lycéens aux épreuves communes d'entrée en 1re année, par exemple), le dispositif cherche à remettre en question le « darwinisme social » qui affecte le recrutement des grandes écoles et contribue à la reproduction sociale des élites dénoncée, à juste titre, par la sociologie de l'éducation.

Le souci de la distinction

Sciences Po Bordeaux, soutenu par la Région, cherche à définir une approche unique pour démocratiser l'accès à l'établissement. Le choix de Sciences Po Paris d'assumer une politique de discrimination positive (en ouvrant une voie spécifique d'entrée aux élèves des lycées en Conventions d'Éducation Prioritaire [CEP]) suscite le débat à Bordeaux. L'objectif est de fonder l'ouverture sociale sur une approche différente, alignée sur les valeurs de l'établissement : concilier une ouverture sociale et territoriale pressante avec des critères de sélection uniformes pour tous les candidats à l'entrée dans l'établissement.

Paris versus Bordeaux : les valeurs républicaines en débat

La volonté bordelaise de se distinguer de Sciences Po Paris s'enracine dans une certaine conception de l'idée républicaine. Proche dans son esprit du programme de l'ESSEC (« Une grande école : Pourquoi pas moi ! » [PQPM]), le dispositif JPPJV affirme également certaines valeurs exprimées dans une déclaration du 28 juin 2005 : « Il s'agit d'une décision réellement politique : nous avons considéré que l'égalité d'accès devait être préservée coûte que coûte, ne serait-ce parce que nous n'avons pas souhaité ajouter de la discrimination, même positive, par le biais d'un "concours réservé" ou "spécial" ou "particulier", à de la discrimination sociale, économique ou culturelle ».

C'est donc par « petites touches » que Sciences Po Bordeaux cherche à contribuer à la démocratisation de son public, tout en veillant « à ne pas ajouter à la "stigmatisation sociale" par une mise en avant excessive de la "discrimination positive" ».

 

Bibliographie pour aller plus loin :

Annabelle Allouch, La société du concours. L'empire des classements scolaires, Paris, La République des idées/Seuil, 2017.
Annabelle Allouch, Les nouvelles portes des grandes écoles, Paris, PUF, 2002.
Daniel Sabbagh, « Affirmative action in Sciences Po », French Politics, Culture & Society, 20 (3), 2002.
Pierre Sadran, La mémoire en partage. Sciences Po Bordeaux (1948-2018), Lormont, Le Bord de l'eau, 2018 ;
Vincent Tiberj, Sciences Po, dix ans après les Conventions d'éducation prioritaire, Paris, FNSP, 2011, disponible sur HAL.