05 juin 2025|Scolarité

L'IA au cœur du débat

Source de toutes les attentions dans l’enseignement supérieur, l’IA a fait l’objet d’une Convention citoyenne étudiante à laquelle Sciences Po Bordeaux a participé activement. L’occasion de faire le point sur cette question qui mobilise l’ensemble de la communauté éducative de l’établissement.

Comment utiliser l’IA pour apprendre mieux ? Quels sont les risques de l’IA dans l’éducation ? Comment peut-on évaluer un élève sur des travaux personnels ? Voici quelques-uns des thèmes débattus lors d’une Convention citoyenne étudiante organisée les 04 et 05 avril 2025 à Bordeaux Métropole. Cette initiative émane de la Chaire Philosophia en cours de création, portée par Mazarine Pingeot, enseignante-chercheuse à Sciences Po Bordeaux, par ailleurs responsable pédagogique des Rencontres Sciences Po Bordeaux / Sud-Ouest. « Cette initiative répond au désir d’amener la philosophie à l’école, un souhait partagé par les étudiants. Elle abordera la question de l’articulation entre science et démocratie à l’heure où notre société est percutée par des domaines complexes pour lesquelles nous ne disposons pas de toutes les clés ». Dans ce cadre, cette chaire a décidé d’impulser un format annuel de convention citoyenne et a donc choisi comme première thématique l’IA.

Au-delà du sujet d’actualité, son approche a été originale puisqu’elle a fait se réunir et débattre des étudiants aux profils différents, dont des futurs ingénieurs de Bordeaux INP, des étudiants de plusieurs universités (Bordeaux, Bordeaux Montaigne et La Rochelle) et des élèves de l’Institut. Nous avons interviewé à ce titre Andréa Lalonnier en Master 1 Communication publique à Sciences Po Bordeaux. Le choix de cette problématique est d’autant plus judicieux que Philosophia bénéficie de l’accompagnement de la Fondation Bordeaux Université qui soutient déjà la chaire IA digne de confiance de Bordeaux. Créée par Laurent Simon, professeur en informatique au Labri1, celle-ci a apporté son expertise à l’événement. Cathel Bousquet, Directrice adjointe Stratégie & Prospective de la Fondation Bordeaux Université et partie prenante de cette manifestation, nous explique dans son interview à lire ici sa genèse et son intérêt pour le pôle universitaire bordelais.

Une charte IA à venir à Sciences Po Bordeaux

La Convention est intervenue alors que Sciences Po Bordeaux planche sur la création d’une charte IA, dans les tuyaux depuis quelque temps. Florie Brangé, responsable de la Cellule d’appui à la pédagogie de Sciences Po Bordeaux, en a la charge. « Jusqu’à présent, et comme dans de nombreux établissements supérieurs en France, il n’y avait pas de cadrage officiel clair sur l’IA. Pour autant, différentes actions ont été menées au sein de l’établissement : charte anti-plagiat avec citation des sources, information à destination de la communauté enseignante sur « Les outils d'IA générative et l'enseignement », temps consacrée à l’IA en février 2025 via notre cellule d’appui à la pédagogie, guide d’usages des outils d’IA générative à destination des élèves, étude sur les pratiques étudiantes ou encore soutien de l’établissement à un enseignant-chercheur 2 pour congé pour un projet pédagogique en lien avec l’IA ». Et Florie Brangé d’enchaîner sur l’intérêt des débats de la Convention citoyenne qu’elle a suivis avec attention. « Cet événement inter-disciplinaire et inter-établissement a été intense. J’en retiens la puissance de l’intelligence collective pour creuser le sujet. J’ai écouté enseignants et étudiants parler de compétences et d’apprentissage, mais aussi de triche. La matière produite constitue une excellente base pour amorcer une réflexion de longue haleine au sein de l’établissement et peaufiner la charte qui sera proposée ».

Anticiper le risque de suspicion

Interrogée sur le choix de l’IA comme première thématique de la Convention citoyenne qu’elle a co-organisée, Mazarine Pingeot a évoqué un aspect très concret auquel tout formateur est aujourd’hui confronté : la remise en cause des évaluations des travaux hors murs. « Dans les risques de fracture suscités par cette technologie, figure un risque de méfiance délétère entre l’enseignant et l’élève » précise-t-elle. Un risque confirmé par Florie Brangé. « De nombreux articles de presses et d’articles scientifiques évoquent la possibilité d’entrer dans une ère de la suspicion, où chacun et chacune se demande à tout instant s’il lit une personne ou un texte provenant d’algorithmes et de statistiques probabilistes. Le lien de confiance entre enseignants et étudiants reste un impondérable à la mise en place d’une relation pédagogique de qualité qui favorisera un environnement propice aux apprentissages. Il est donc indispensable de pouvoir ouvrir le dialogue avec les étudiants sur ce qui est autorisé ou non selon la situation et les compétences à développer notamment ». Cette charte, en cours de finalisation, devrait être présentée et mise au vote lors d’un prochain conseil d’administration de l’école fin juin 2025. Une demi-journée ouverte à tous les enseignants et enseignants-chercheurs sur le sujet est par ailleurs prévue en juillet pour actualiser et harmoniser les plans de cours afin de préparer la rentrée 2025. Désormais incontournable, l’IA dans l’enseignement supérieur est un phénomène qu’il faut prendre à bras le corps car, dans cette affaire, le pire serait de ne rien faire !

1 Le Laboratoire Bordelais de Recherche en Informatique est une unité mixte de recherche du CNRS installée sur le domaine universitaire de Talence-Pessac-Gradignan. Ses tutelles sont l'Université Bordeaux, le CNRS INS2I et Bordeaux INP.

2 Porté par Mickael Temporão sur la thématique « Comment l'intégration des intelligences artificielles génératives (IAG) dans le cadre pédagogique influence-t-elle le développement des compétences étudiantes, et quelles pratiques responsables d'utilisation favorisent l'acquisition et le renforcement de compétences ? ».

Interviews

Andréa Lalonnier, étudiante en Master 1 Communication publique et politique

« L’IA a besoin d’un encadrement »

Pourquoi avez-vous participé à la Convention citoyenne étudiante sur l’IA ?

 Je n’avais jamais participé à une Convention citoyenne. Vivre une telle expérience m’a attirée, d’autant plus qu’elle portait sur le sujet de l’IA. J’aspire en effet à travailler dans le domaine des stratégies digitales et des nouveaux métiers, avec une vraie appétence pour le secteur de l’éducation. L’intelligence artificielle constitue une thématique au cœur des questionnements aujourd’hui, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les cours à Sciences Po Bordeaux. Je suis donc allée à cette Convention à la fois par curiosité, mais aussi pour déconstruire certains préjugés en la matière.

Qu’en avez-vous retiré ?

J’ai beaucoup apprécié de réfléchir à plusieurs à des solutions en lien avec les ateliers organisés et d’échanger avec des étudiants de différents cursus : sociologie, philosophie, sciences sociales, informatique, etc. L’exercice a été riche sur le plan humain et en termes d’intelligence collective. L’intérêt était d’aller au-delà de sa propre perception, en cherchant à trouver des compromis. Personnellement, j’ai appris que l’IA existait depuis très longtemps, et pris conscience qu’il fallait plus de transparence sur son utilisation si l’on voulait sortir de sa diabolisation. Je considère que l’IA est un outil qui, utilisé à bon escient, permet de gagner en productivité et de se concentrer sur d’autres tâches. On a donc abordé l’IA sous l’angle économique, sociétal et technique, mais trop peu sur le plan environnemental à mon goût.

Comment les étudiants que vous connaissez l’utilisent et quelle est leur perception ?

Lorsque j’étais en 1ère année à Sciences Po Bordeaux, très peu d’étudiants avaient recours ou en tous cas évoquaient son utilisation de l’IA. En 3e et 4e années, son utilisation est devenue plus massive et répétée que ce soit pour des travaux de synthèse, la construction de plans, la reformulation de contenus et même parfois la réalisation de QCM. Certains élèves, qui l’utilisent quotidiennement l’appellent même « leur meilleure amie ». À l’inverse, vous avez encore des étudiants qui la rejettent, estimant que son utilisation est un aveu de faiblesse. J’ai le sentiment qu’il n’y a pas encore de juste milieu.

Êtes-vous favorable à la création d’une charte sur l’IA à Sciences Po Bordeaux ?

J’y suis favorable, comme la majorité des élèves. Elle est nécessaire pour encadrer l’usage de l’IA à Sciences Po Bordeaux avec des préconisations pour qu’elle soit bien utilisée. Il ne faut pas en revanche que cette charte s’apparente aux conditions générales d’un document juridique que personne ne lit. Je serai partisane d’une lecture collective de celle-ci en début d’année par exemple. D’autant plus que l’IA, selon moi, présente un caractère discriminatoire entre ceux qui ont accès ou non à internet, ceux qui bénéficient d’une version payante sophistiquée ou d’une version de base gratuite, et bien sûr ceux l’utilisent et ceux qui s’y opposent...

Cathel Bousquet, directrice adjointe Stratégie & Prospective de la Fondation Bordeaux Université

« Aux établissements de s'approprier ces travaux sur l'IA »

Présentez-nous la Fondation Bordeaux Université et comment est né le projet de convention citoyenne IA à laquelle vous avez fortement contribué ?

La Fondation Bordeaux Université est l’opérateur commun en termes de mécénat du campus universitaire et hospitalier bordelais, notamment de l’université de Bordeaux, du CHU de Bordeaux, de Bordeaux INP, Bordeaux Sciences Agro et de Sciences Po Bordeaux. Depuis sa création en 2009, 42 Millions d’euros ont été collectés au bénéfice de plus de 280 projets. La Fondation intervient pour soutenir la recherche, l’innovation et la formation, en prise avec de grands sujets sociétaux ou défis industriels, en articulation avec les secteurs clés et les acteurs du territoire. Nous accompagnons à ce titre de nombreuses chaires, dont deux hébergées par Sciences Po Bordeaux. Récemment, la direction de Sciences Po Bordeaux nous a mis en relation avec Mazarine Pingeot dans le but de créer une nouvelle chaire, la chaire Philosophia, en articulation avec le festival du même nom. Mazarine souhaitait y développer une Convention citoyenne étudiante annuelle et nous l’avons aidée à la structurer en articulation avec la chaire IA digne de confiance, portée par Laurent Simon, Bordeaux Métropole et de nombreux acteurs qui ont rejoint et enrichit l’initiative.

Quel bilan faites-vous de cette Convention citoyenne ?

Cette Convention a marqué les esprits. Les retours que nous en avons sont très positifs, tant de la part des étudiants que des parties prenantes : intervenants, animateurs, professeurs, mécènes, établissements ou Bordeaux Métropole1. La participation à cet événement d’étudiants de Sciences Po Bordeaux, Bordeaux INP, de l’université de Bordeaux, de l’Université Bordeaux Montaigne et de l’université de La Rochelle a permis de croiser les regards et, finalement, de dépasser les préjugés que ce soit sur les autres disciplines ou sur l’IA à proprement dit, et ainsi d’aboutir à des réflexions riches d’enseignement. Les échos de cette manifestation sont arrivés à plusieurs oreilles, qui nous sollicitent pour restituer les travaux et recommandations des étudiants, par exemple « la mission IA » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Comment ces travaux vont-ils se concrétiser désormais au sein des établissements ?

Nous avons été plébiscités par les étudiants pour organiser des suites à cet événement. Nous verrons quels formats elles prendront, toujours dans le cadre des chaires : formations, ateliers, nouvelle édition... Les établissements universitaires étant libres de leur pédagogie, nous nous mettons à leur disposition pour qu’ils puissent s’emparer des travaux de la Convention, comme le fait Sciences Po Bordeaux avec une charte inspirée des recommandations des étudiants. À titre personnel, c’était un réel plaisir et un ressourcement que d’évoluer aux côtés de personnalités aussi compétentes et inspirantes que Mazarine Pingeot et Laurent Simon, qui plus est sur la base de valeurs communes et l’envie de mettre nos expertises et réseaux respectifs au service de l’intérêt général.

1 L’événement s’est tenu dans l’enceinte de Bordeaux Métropole