2015. Gilles Pinson de Sciences Po Bordeaux et Stéphane Hirschberger de l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux (ENSAP Bordeaux) décident de faire collaborer leurs étudiants respectifs.
Le premier est professeur de science politique et chercheur au Centre Émile Durkheim. Le second est architecte associé et enseignant-chercheur à l’ENSAP Bordeaux. La démarche s’avère novatrice sur le plan administratif. Les deux établissements, voisins géographiquement, n’ont jamais encore noué de relations partenariales. L’approche se veut aussi disruptive sur le plan pédagogique. Elle entend faire travailler ensemble régulièrement deux populations d’étudiants très différentes, l’une inscrite dans le parcours de master Stratégies et Gouvernances Métropolitaines de Sciences Po Bordeaux, l’autre dans le parcours Intelligence et Architecture des Territoires de l’ENSAP Bordeaux. L’idée est de les faire plancher sur des « projets collectifs » répondant à des commandes d’organismes publics et privés sur des problématiques urbaines et territoriales. Les deux responsables ignoraient alors que l’initiative - ambitieuse mais risquée - passeraient le cap des 10 ans.
Un événement pour célébrer le 10e anniversaire des projets collectifs
2025. Les deux écoles fêtent en cette rentrée universitaire le 10e anniversaire de ce partenariat atypique. L’événement a donné lieu à Bordeaux à une manifestation organisée le 18 septembre dernier à la Fabrique Pola, fédération artistique et culturelle et tiers-lieu consacré à l’art visuel contemporain. La journée a débuté par une table-ronde sur le thème Bordeaux et son Fleuve. Elle s’est poursuivie par une conférence de l’architecte-urbaniste-paysagiste Alexandre Chemetoff. Elle s’est conclue par une remarquable exposition présentant tous les projets collectifs réalisés conjointement par les deux formations depuis 10 ans. Ce grand rendez-vous a été l’occasion pour Dominique Darbon, directeur de Sciences Po Bordeaux, de saluer la démarche entreprise :
« Je voudrais tout d’abord féliciter nos collègues de nos deux établissements qui non seulement ont pensé, conceptualisé, construit et lancé ce projet, mais qui ne cessent de l’adapter et d’en faire un « phare » au service des transformations urbaines mais aussi des futures générations de professionnels qui modèleront notre environnement avec un équipement intellectuel rénové, interdisciplinaire ».
Retour sur la genèse du projet
« Nous étions chacun de notre côté à l’époque dans une phase de réflexion pour faire évoluer nos pratiques pédagogiques. Nous ressentions la nécessité de croiser les savoirs pour répondre aux nouveaux enjeux de l’action publique en matière de conception et d’aménagement des territoires. Notre rencontre informelle dans une réunion suivie de nombreuses discussions a permis d’esquisser ce qui est devenu les projets collectifs et de nouer un partenariat fort entre nos deux écoles » expliquent d’une même voix Gilles Pinson et Stéphane Hirschberger. Très vite, les deux enseignants s’accordent sur l’intérêt de créer des équipes mixtes pour répondre à de vraies commandes de clients en lien avec des problématiques communes aux deux cursus. Le parcours de master Stratégie et Gouvernances Métropolitaines de Sciences Po Bordeaux vise à appliquer les compétences d’analyse et de synthèse des élèves en science politique au champ de l’action publique urbaine. Le parcours Intelligence et architecture des territoires de l’ENSAP Bordeaux veut développer quant à lui la capacité de ses étudiants en architecture à coconstruire le projet architectural et urbain au contact de futurs maîtres d’ouvrage.
Les deux réunis couvrent le spectre d’un projet d’urbanisme, ce qui constitue une plus-value pour les commanditaires. Un point confirmé par Maëlle Despouys, chargée de mission à la Direction Générale de la Proximité et des Relations avec la Population de la ville de Bordeaux. L’immersion s’effectue selon le principe désormais rituel « de l’atelier ». Il s’agit de l’espace ou s’élaborent conceptuellement et se maquettent concrètement les projets d’architectes. Il favorise dans un cadre propice les échanges entre étudiants, mais aussi avec les enseignants tuteurs qui les accompagnent dans le projet.
Une méthode qui a fait ses preuves
À raison de 6 à 8 projets par an mobilisant une quarantaine d’étudiants au total, le dispositif est aujourd’hui parfaitement rôdé. Pour autant, il se renouvelle sans cesse puisque les élèves et les projets changent. Ces derniers concernent le plus souvent les territoires de Bordeaux, de la métropole ou de la Gironde. Mais l’équipe des projets collectifs ne s’interdit pas de répondre à des sollicitations plus lointaines, comme cela a été le cas jadis, à Artiguelouve près de Pau, à Saint-Nazaire ou encore à Tours par exemple.
Les thématiques abordées couvrent un large champ de problématiques. Citons à titre d’exemple des projets sur les filières créatives sur Bordeaux, la revitalisation inclusive de Castillon-la-Bataille, les mobilités périurbaines, les nouveaux modes de vie et l’immobilier d’exception, etc. La question des transitions transpire depuis plusieurs années sous des formes diverses et variées, alors que des commandes en lien avec l’inclusivité et l’IA émergent, signes de la dimension sociétale de l’urbanisme. Lequel n’est pas l’apanage des zones urbaines ou périurbaines comme l’indique une mission récente sur le logement paysan. L’agence d’urbanisme de Bordeaux Métropole a’urba figure parmi les commanditaires réguliers des projets collectifs. Françoise Le Lay, sa directrice générale adjointe en charge des études, souligne l’attitude professionnelle des étudiants et les bienfaits réciproques du dispositif pour chacune des parties.
Une approche professionnelle, une finalité pédagogique
Les projets collectifs sont facturés aux commanditaires. Les sommes récoltées participent à la rémunération des tuteurs, aux frais de déplacement des étudiants hors métropole ou encore à la valorisation des travaux réalisés (éditions, expositions, etc.). Mais le plus gros du budget est consacré à l’organisation d’un voyage d’études pour les étudiants. Celui-ci leur donne l’occasion d’appréhender les problématiques et modes de gestion de villes à l’étranger, comme cela a été le cas à Istanbul, Athènes, Montréal ou Vienne par le passé. Car les projets collectifs s’entendent avant tout comme un outil pédagogique précieux pour les deux écoles. « Nos étudiants de Sciences Po Bordeaux comprennent au contact de leurs homologues de l’école d’architecture que l’on peut communiquer autrement que par les mots et qu’une lecture sensible d’un territoire passe aussi par la compréhension des paysages, des plans ou des formes. Ils développent ainsi leur potentiel d’altérité » explique Gilles Pinson.
Un point de vue totalement partagé par Simon Tazi, chef de projet aménagement chez Aquitanis. Ce dernier fait partie des premiers diplômés du parcours de master Stratégie et Gouvernances Métropolitaines. Il confirme l’intérêt de plancher sur de vrais projets avec des futurs architectes, ce qui lui a permis de s’acculturer à une profession avec laquelle il collabore régulièrement. Stéphane Hirschberger voit pour sa part dans l’échange avec Sciences Po Bordeaux « l’opportunité pour ses étudiants de repositionner un projet d’architecture dans une action plus large à partir d’une lecture complète de la situation territoriale, et notamment des jeux d’acteurs », mais aussi la nécessité « de prendre en compte ses implications politiques, économiques ou juridiques ».
Pour toutes ces raisons, Sciences Po Bordeaux et l’ENSAP Bordeaux n’ont pas fini de travailler ensemble et de peaufiner leur dessein urbaniste. Rendez-vous maintenant dans 10 ans !