06 février 2025|Vivre ensemble

Diversité et inclusion : au nom de l'humanisme

Dans le droit fil de plusieurs de ses associations qu’elle soutient, l’école développe une politique pro-active en matière de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité et de l’inclusion. Comment ? Avec quels moyens et outils ? Pour quels résultats ?

L’information peut sembler anodine à l’échelle d’un institut d’études politiques comme celui de Sciences Po Bordeaux : depuis octobre 2023, l’école a créé un poste à plein temps de Chargé de mission Égalité de genres, lutte contre les violences et les discriminations, référent handicap. Auparavant, la fonction était répartie entre une enseignante particulièrement motivée mais forcément limitée dans son action par son emploi du temps et le service de la Vie étudiante et Associative. Cette donnée présente pour autant un intérêt notable : elle prouve que la question de la diversité et de l’inclusion figure bien au menu des sujets phares de l’établissement, comme l’a maintes et maintes fois rappelé son directeur, Dominique Darbon. Ainsi, en passant de la parole aux actes, Sciences Po Bordeaux donne du crédit et de la visibilité à ces thématiques incarnées par Alexis Lemaire-Patin. Ce dernier – qui a déjà travaillé dans le secteur de la lutte contre discriminations après des études à Sciences Po Lille – professionnalise la démarche de l’institut. « Le scope de ma mission est effectivement large puisqu’il englobe la lutte contre toutes les discriminations, les Violences sexuelles et sexistes (VSS), l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les questions d’inclusion au sein de l’établissement ou encore le volet handicap » indique Alexis Lemaire-Patin. Son rôle d’animation et de coordination s’effectue en lien à une diversité d’acteurs de l’établissement, des élèves aux enseignants et chercheurs, en passant par le personnel administratif. On citera notamment la Cellule de veille et d’écoute (CVE) ou la Scolarité. « Mon travail est de recenser toutes les actions mises en place mais aussi d’harmoniser nos pratiques afin d’être plus efficient » poursuit l’intéressé. Le fait que son poste soit rattaché à la Direction générale de l’école - et plus particulièrement au service juridique - confirme l’importance donnée à ce poste. Alexis Lemaire-Patin est enfin l’interlocuteur privilégié des associations étudiantes de Sciences Po Bordeaux engagées sur ces questions.

Des associations étudiantes très engagées

Trois associations de l’école illustrent plus particulièrement la thématique de la diversité et de l’inclusion. Sexprimons-Nous, la plus ancienne, fête son 10e anniversaire cette année. À l’échelle de l’enseignement supérieur où les promotions se succèdent rapidement, la performance doit être signalée. Tout comme son effectif, de 115 membres. Sa vocation « de promotion des valeurs d’égalité et de respect entre les genres et les sexualités sur le campus » lui a valu de participer au groupe de travail « Lutte contre les violences sexuelles et sexistes » de l’institut, composé à parité de personnels issus de la recherche, de l’enseignement et de l’administration et d’élèves de cette association. Un groupe de travail a coordonné en 2021 le premier plan d’action de prévention des VSS de Sciences Po Bordeaux. Cette même association est sollicitée par les lycées de Gironde pour évoquer une multitude de sujets en lien avec la sexualité et l’égalité des genres. In.différence, l’association LGBTQI+ de l’école, se déplace elle aussi dans les établissements scolaires dans le cadre de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Enfin, Insulaires, une association récente qui compte déjà 90 adhérents, s’applique à donner de la visibilité aux territoires ultramarins et à ses étudiants insulaires. Au-delà de rassembler les élèves concernées, ses responsables multiplient les échanges avec des étudiantes et étudiants hexagonaux dans une logique d’ouverture et d’échange.

Des élèves sensibilisés dès la première année

Autre indice de l’importance donnée par Sciences Po Bordeaux au sujet : tous les élèves de première année sans exception suivent des ateliers de sensibilisation sur ces thématiques : les VSS, le harcèlement et les discriminations. Les interventions sont bâties autour de données théoriques (concepts fondamentaux, données sociologiques, sources juridiques, cas jurisprudentiels…) et méthodologiques. Difficile dès lors pour un élève d’évoquer l’ignorance pour justifier des faits inappropriés ou délictueux, lesquels sont sanctionnés à leur juste proportion par l’école qui prône en la matière « une tolérance zéro ». L’établissement voit aussi une autre vertu à ces enseignements qu’Alexis Lemaire-Patin résume ainsi : « J’ai été par le passé formateur et consultant en entreprise sur les sujets de diversité et d’inclusion. Ces thèmes font désormais partie des compétences attendues pour des postes managériaux. Nos élèves ont donc un double intérêt à retenir ces interventions ». Ce travail au long cours porte ses fruits puisque des enquêtes internes montrent que les étudiantes et étudiants se sont appropriés les outils mis en place et connaissent de mieux en mieux les dispositifs mis en œuvre. 88% des élèves ont identifié les missions et les membres de la CVE (enquête évaluation des services). « La sensibilisation concerne aussi tous les personnels de l’établissement, mieux armés pour écouter de façon bienveillante une ou un élève et l’orienter vers le bon service ou la bonne personne » renchérit le chargé de mission.

De l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Si l’école agit auprès de la sphère étudiante pour des comportements éthiques et responsables, elle s’applique à elle-même ce qu’elle demande à autrui. C’est le sens de son nouveau plan d’action pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 2024-2027 conçu pour et par les personnels de Sciences Po Bordeaux. À la fois enjeu sociétal et de responsabilité d’un employeur, ce document traduit la démarche de l’établissement en faveur d’un environnement de travail sain, inclusif et épanouissant à l’heure où les disparités de salaire à poste et expérience équivalents sont encore latentes dans notre société. Il y est question donc « d’évaluer, de prévenir et de traiter les écarts de rémunération » selon le genre. Mais pas que ! Des propositions cherchent aussi à « garantir l’égal accès des femmes et des hommes aux corps et aux emplois » ou à « favoriser l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale ». Sur ce dernier point par exemple, la question de l’accompagnement des proches aidants a été posée afin d’accompagner les agents concernés pour faciliter la poursuite de leur activité professionnelle. L’occasion de préciser que la chaire TerrESS de Sciences Po Bordeaux s’est emparée de cette question qui concernera un tiers des actifs en 2030 et dont les travaux ont donné lieu à l’édition d’un ouvrage.

L’inclusion des personnes en situation de handicap

S’il est un domaine où l’inclusion trouve sa pleine expression et où le chemin à parcourir est encore long dans notre société, c’est bien celui du handicap. Sciences Po Bordeaux s’y emploie à son échelle. 80 agents de l’école ont participé à l’élaboration du premier schéma directeur handicap de l’établissement en cours de finalisation. La question est doublement complexe puisqu’il faut d’une part prendre en compte le handicap visible et invisible, mais aussi tenir compte des élèves concernés à des degrés divers mais qui n’en parlent pas, de peur d’être stigmatisés. Preuve que sur ce point aussi, il faut libérer la parole ! D’autant que l’école a la chance de disposer de bâtiments modernes dont la réhabilitation est relativement récente (2016), assurant ainsi une accessibilité à toutes et tous (même si des progrès sont toujours possibles). Et qu’elle a mis en place de nombreux aménagements de scolarité pour les élèves : des aides à la communication (interprétariat en langue des signes - LSF, codage LPC…) et au suivi des enseignements (dispositif de prise de notes, mise à disposition des contenus de cours…). Des aménagements des études (adaptation de l’emploi du temps, des supports, des modalités d’examens…) ainsi qu’un accompagnement humain, par le corps enseignant et les référents administratifs, sont aussi prévus, ainsi qu’une aide à la mobilité.

En conclusion, et même s’il reste beaucoup à faire, Sciences Po Bordeaux se mobilise. L’école compte sur son personnel et ses étudiants pour faire de la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité et de l’inclusion un combat quotidien.

Interviews

Sexprimons-Nous : Eva Combis, Garance Forasté, Teddy Louis-Amédée et Théa Bacouel

"Une approche pédagogique d'information et de sensibilisation"

Comment définissez-vous votre association qui existe au sein de l’institut depuis 2015 ?

Notre association est à vocation intersectionnelle. Elle fait référence au croisement des luttes lorsque les femmes racisées, populaires, LGBTQIA+ ou voilées subissent d’autres discriminations en plus de celle du sexisme. Nous prenons en compte les différentes oppressions qui se renforcent mutuellement. Nous comptons 115 membres, ce qui fait de Sexprimons-Nous une des associations les plus suivies de l’école, en plus d’être l’une des plus anciennes.

Vous intervenez dans les lycées, notamment dans le cadre scolaire de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Quels thèmes abordez-vous avec ce public ?

Nous abordons un grand nombre de thématiques auxquelles les lycéennes et les lycéens sont confrontés ou pourraient l’être : la pornographie, les cyber-violences sexuelles, le consentement, les agressions sexuelles et le viol, etc. Nous évoquons aussi la précarité menstruelle de façon concrète à travers les difficultés de certaines personnes à se procurer des protections hygiéniques en raison de leurs faibles revenus et/ou du coût trop élevé de ces protections. Nous abordons aussi les IST, la santé sexuelle, le dépistage ou les contraceptions féminines et masculines. Ces interventions ont lieu pendant les heures de classe, soit en internat. Nous n’avons pas de posture dogmatique, mais une approche pédagogique d’information et de sensibilisation. Nous leur expliquons qu’ils ont le droit de ne pas être d’accord avec nous mais à condition de le verbaliser dans un cadre de respect et de tolérance.

Que retenez-vous de ces interventions ?

Nous nous appuyons sur un quiz par groupe pour faciliter les échanges entre élèves et leur laisser la possibilité de s’exprimer librement. Notre âge, notre approche ludique et le fait que nous soyons seules avec eux contribuent à cette liberté de parole sur des sujets sensibles. Nous écoutons donc, mais nous recadrons aussi les attitudes et messages irrespectueux, en luttant contre la désinformation, les clichés et les messages explicites ou implicites qui sont répréhensibles. Nous entendons notamment des garçons tenir des propos homophobes et sexistes avec une désinvolture sidérante, sans prendre conscience du poids des mots utilisés. Cette masculinité toxique les amène à dire des horreurs sans sourciller et explique de fait leurs difficultés à se remettre en cause. Les lycéennes et lycéens que nous rencontrons montrent un certain paradoxe : ils sont plutôt informés sur la sexualité en tant que telle mais assez ignorants de ce que recouvre le champ des violences sexuelles et sexistes qu’ils peuvent véhiculer à leur insu. Ce travail d’éducation est absolument indispensable. Les établissements qui nous contactent en sont conscients et nous laissent à ce titre une grande liberté d’action.

Ces quatre étudiantes sont respectivement co-présidentes (Eva Combis, Garance Forasté) et intervenantes lycées (Teddy Louis-Amédée et Théa Bacouel) de l’association.

In.différence : Raphaelle Desplat, Louisa Ramdani et Danae Tesson-Lydié

"Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera"

Quelle est la raison d’être de votre association ?

In.difference est l'association LGBTQI+ de Sciences Po Bordeaux. Elle accueille tout le monde, sans distinction, et n'est affiliée à aucun parti politique. Elle défend les droits et les causes de ses membres, informe et lutte contre toutes formes de discriminations basées sur l'orientation sexuelle ou encore l'identité de genre. L’objectif est que chacun soit libre et respecté dans son identité au sein de Sciences Po Bordeaux. Par ailleurs, la communauté possède une dichotomie entre d'une part la revendication d'une différence dans la société, et à l'inverse, une revendication d'un droit à l'indifférence. Par notre action, nous souhaitons donc rallier ces deux visions qui sont en fait complémentaires. Au total, nous comptons 70 adhérents, dont une bonne vingtaine de membres actifs.

Vous menez des actions d’information et de sensibilisation dans des lycéens. Pouvez-vous nous expliquer en quoi elles consistent ?

Nous assurons effectivement des missions d’éducation dans les collèges et lycées sur et par notre communauté. Cette initiative récente née en 2024 se déploie puisqu’une douzaine d’interventions sont prévues dans des établissements de Charente, à Angoulême notamment. Celles-ci s’inscrivent dans le cadre scolaire de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS)1. Le besoin d’information est latent et le contenu de nos interventions est coconstruit avec les enseignants, très demandeurs. Ces derniers sont conscients que, par la nature de notre association et notre âge, nous sommes les mieux placés pour échanger avec des jeunes. Notre approche est forcément différente entre des élèves de 4e et 5e encore immatures pour certains, et des élèves de première et terminale déjà avertis. Pour autant, nous comblons de nombreuses lacunes en lien avec des idées préconçues sur la sexualité et les questions de genre. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera…

Quel regard portez-vous sur les questions de diversité et d’inclusion à Sciences Po Bordeaux ?

Nous baignons à Sciences Po Bordeaux dans un microcosme plus éduqué qu’ailleurs en termes de sciences sociales et dans un cadre privilégié et sécurisant. Il est notamment agréable de se sentir soutenus et respecté par la direction. Mais comme partout ailleurs, des progrès peuvent être effectués et nous y travaillons. Nous sommes à ce titre notamment présents au Forum des Associations en début d’année, nous organisons des afters works intersectionnels sur les quais de Bordeaux en lien avec l’association Sexprimons-Nous, nous sommes très présents sur les réseaux sociaux et nous organisons des événements, des conférences et des débats. En revanche, quand on voit qu’il nous a fallu mettre en place un service de sécurité pour la venue d’Alice Coffin2 l’an dernier à Sciences Po Bordeaux pour faire face à la menace de groupuscule néo-facistes locaux, le combat contre l’intolérance à l’extérieur des murs de l’école est loin d’être gagné. D’où l’importance de notre action !

Ces trois étudiantes sont respectivement co-présidentes (Raphaelle Desplat et Louisa Randanii) et responsable du pôle Lycée (Danae Tesson-Lydié) de l’association

Au Collège, les apprentissages portent sur la vie affective et relationnelle. Contrairement au lycée, les questions liées à la sexualité ne sont pas abordées.

Ancienne étudiante de Sciences Po Bordeaux, Alice Coffin est journaliste et militante féministe et LGBT française, cofondatrice de la Conférence européenne lesbienne* et de l'Association des journalistes LGBT (AJL). Elle est élue écologiste au Conseil de Paris depuis 2020.

Insulaires : Nailea Foissac, Dabout Romane et Menahère-Nounouhiat Desperiers

"Vivre ensemble par-delà les mers"

Quelle est la vocation de votre association baptisée Insulaires ? 

Ophélie Saint-Pé, alors étudiante de Master 1 du parcours Risques et Développement au Sud, était à l’initiative de cette association, elle a été suivie par Dabout Romane et Menahere-Nounouhia Desperiers, actuellement en Master 1 parcours Carrières administratives. Nous cherchons à donner de la visibilité aux territoires ultramarins et à ses étudiants insulaires qui rejoignent Sciences Po Bordeaux. Il est important de noter que notre association ne s’adresse pas qu’aux élèves d’Outre-mer mais vise aussi les étudiants hexagonaux de l’école. Ces derniers méconnaissent souvent la Guyane, la Polynésie française, la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte, etc. La diversité de ces territoires est d’ailleurs si grande que nous nous sommes organisées au sein d’Insulaires en pôle géographique Pacifique, Atlantique et Océan Indien par exemple.

En quoi répondez-vous à un besoin d’inclusion ?

L’une de nos actions consiste à lutter contre les préjugés à l’égard des élèves originaires d’Outre-mer. Nous avons réalisé à dessein au sein de l’école « un mur des clichés ». Des étudiants de l’école ont joué le jeu et inscrits spontanément les mots et images qui leur venaient à l’esprit pour évoquer ces territoires. Les termes « cocotiers », « sable fin » ou « soleil » sont revenus sans cesse, preuve que ces clichés de cartes postales ont la vie dure. Il faut aussi savoir que la légitimité scolaire de ces mêmes élèves est parfois source de réflexions, ce qui est blessant. Mais il n’était pas question pour nous d’adopter une posture victimaire, bien au contraire. Nous multiplions donc les occasions de rencontres entre élèves insulaires et hexagonaux et nous organisons des conférences sur ces régions françaises du monde qui ont de nombreux défis à relever et qui intéressent de plus en plus d’étudiants.

Est-ce que les récents événements de Mayotte ont mis en lumière vos actions ?

Nous avons observé une mobilisation étudiante des élèves de Sciences Po Bordeaux après le cyclone qui a dévasté l’Île. Nous avons recueilli 2 280 € pour venir en aide à sa population. Notre esprit de solidarité s’exprime aussi vis-à-vis des étudiants ultramarins qui ne peuvent pas rejoindre leur famille à Noël et pour qui nous organisons un repas de fin d’année. Cet esprit de solidarité est une des valeurs de notre association.

Avez-vous le sentiment d’atteindre vos objectifs, tant en termes de visibilité des territoires d’Outre-Mer que d’intégration de ses étudiants ?

 À notre demande, l’administration a mis en place un cours de première année sur les Outre-mer, ce dont nous nous félicitons. Les échanges que nous organisons entre élèves de France d’Outre-mer et des élèves du continent permettent de leur côté des échanges où chacun s’enrichit de la culture de l’autre. C’est un vivre-ensemble par-delà les mers.

« Cela nous fait un bien fou de se sentir reconnus » nous disent des membres de notre association qui ont envie qu’on leur parle plus de leurs forces et moins de leurs faiblesses, leur insularité est en réalité bien plus une force qu’une fragilité. Insulaires a été créée en septembre 2023. C’est une jeune association qui compte déjà 90 adhérents et nous allons nous passer le flambeau pour qu’elle continue d’agir…

1 Ces trois étudiantes sont respectivement co-présidentes (Nailea Foissac et Romane Dabout) et responsable de la zone géographique Pacifique (Menahere-Nounouhia Desperiers) de l’association