13 mars 2025|Formation

La santé, un domaine d'avenir !

Connue pour son expertise dans le domaine social, Sciences Po Bordeaux s'ouvre également au champ médico-social. L’école franchit un nouveau palier puisqu’elle investit désormais le domaine de la santé. L’ANFH (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier) a notamment confié à notre service de formation continue en partenariat avec le CHU de Bordeaux une mission d’envergure nationale

Sciences Po Bordeaux a acquis ses lettres de noblesse sur les questions sociales depuis longtemps. Robert Lafore, directeur de l’établissement de 1998 à 2007, compte parmi les principaux spécialistes du sujet en France. Il a été l’animateur dès le passage de la scolarité de l’école à 5 ans en 2008 d’un master baptisé Gestion des institutions et des politiques sociales dont l’objectif était déjà de prendre la complexité de la législation du monde social et médico-social et de se confronter aux réalités d’un secteur d’activité en mutation. Certes, il n’était pas encore question d’une formation à destination d’un public hospitalier mais il est intéressant de noter que ce dernier évoquait déjà le sujet en 2009. Notre service formation continue a poursuivi cette voie en proposant un master Gouvernance des politiques sociales dès 2010, en partenariat avec les organismes de formation en travail social, devenu en 2019 l’Executive master Action sociale, proposé en double diplomation avec le Diplôme d’État d’Ingénierie sociale. On précisera en outre que l'école obtient depuis longtemps de très bon résultats aux concours A et A+ du certificat Action Sanitaire et Sociale (concours directeur/directrice d’Hôpital, École nationale supérieure de sécurité sociale, etc.) grâce à ses centres de préparation, le CPAG et Prepa’INSP.

Une montée en puissance dans le domaine de la santé

Le service de la formation continue de Sciences Po Bordeaux illustre cette ouverture de plus en plus marquée au domaine de la santé. Son Executive Master Management et transformation de l’action publique (MTAP) créé en 2021 et destiné aux cadres de la fonction publique et du secteur privé a été suivi par exemple par le directeur général adjoint d’une maison de santé qui témoigne, entre autres, dans cette vidéo. Aurélie Valade, praticien hospitalier - pédiatre, et depuis cheffe du pôle Mère Enfant du Groupement hospitalier de territoire Navarre Côte Basque, a également fait partie d’une promotion récente. Dans son interview à lire en bas de page, ce médecin nous explique les raisons qui l’ont poussée à suivre les quatre blocs de ce module pendant deux ans au prix d’une lourde charge de travail qu’elle ne regrette pas, bien au contraire. Autant d’accointances qui montent désormais en puissance…

En lien avec l’ANFH

L'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) est une association loi 1901 agréée par le ministère de la Santé et des Sports. Elle est aujourd'hui le seul OPCA1 du secteur public. Elle pilote et finance un programme de formation des médecins de l’hôpital public - toutes spécialités confondues - appelés à des fonctions de chef de poste ou à des responsabilités nouvelles pour l’ensemble du territoire national. L’ANFH a délégué la gestion opérationnelle de cette formation au plan national au CHU de Bordeaux à travers son centre de formation baptisé IMS Académie et à Sciences Po Bordeaux. C’est une première pour l’établissement. Sur les six modules de ce cursus, le service formation continue de Bordeaux gère spécifiquement celui sur la gouvernance hospitalière. Il y est question d’analyse stratégique des politiques publiques de santé et de sociologie des organisations. Cette brique permet d’appréhender le management médical en le resituant dans son contexte politique et institutionnel, d’aider les participants à structurer leur positionnement managérial dans une logique systémique, et de savoir utiliser des outils de gestion de projet. Les modules ensuite animés par l’IMS Académie les font travailler sur les outils du management, de la gestion de conflits, etc. « Nous nous interrogions sur l’appétence des médecins à investiguer le champ des politiques publiques de santé, un monde souvent abscons pour eux. Or, nous avons eu la bonne surprise de rencontrer des professionnels avides de comprendre les stratégies et les mécanismes auxquels ils seront confrontés dans le cadre de leur mission managériale » précise Ronan Le Graët, directeur de la formation continue à Sciences Po Bordeaux. Concrètement, une équipe de Sciences Po Bordeaux2 a assuré 7 sessions délocalisées de deux jours formation en 2024 à Pessac, Pau, Caen, Paris, Strasbourg et Reims auprès de groupes de 8 à 15 médecins des hôpitaux publics, à raison de 2 ou 3 jours de formation. Une quinzaine d’interventions de même nature sont prévues en 2025 et 2026, preuve de l’intérêt des managers médecins pour leur écosystème juridique, administratif et financier. 

Partenaire du CHU de Bordeaux

Ce nouveau partenariat entre l’IEP et le CHU de Bordeaux rappellent les liens anciens et solides entre les deux entités. Il a été renforcé ces dernières années par Yann Bubien, son ancien directeur, diplômé de Sciences Po Bordeaux. Il continue de plus belle sous Vincent-Nicolas Delpech, son successeur, comme le prouve l’interview qu’il nous a accordée. L’employeur n°1 de la région Nouvelle-Aquitaine avec près de 15 000 salariés confie d’ailleurs à l’Institut des missions de formation. Un cycle récemment mis en place à destination de son personnel non-soignant (service RH, cadre de santé, responsable administratif, etc.) permet d’obtenir une équivalence avec le premier bloc de l’Executive Master MTAP et de s’engager ainsi potentiellement dans une voie de formation certifiante. D’autres formations assurées par Sciences Po Bordeaux ont été mises au catalogue de l’IMS Académie du CHU de Bordeaux. On citera par exemple Stratégie territoriale et action d’influence assurée par Sébastien Guigner, maître de conférences en science politique, responsable du parcours de master Affaires publiques et représentation des intérêts à Sciences Po Bordeaux. Tonya Tartour, maîtresse de conférences en sociologie à Sciences Po Bordeaux, a conçu le module ANFH avec Anne-Laure Bedu qui dirige l’Executive master MTAP. Elle nous éclaire dans son interview à lire ici sur la nécessité pour les acteurs médicaux d’appréhender les grands changements qui s’opèrent dans la santé aujourd’hui. Cette chercheuse au Centre Émile Durkheim, spécialiste de la gouvernance hospitalière et des systèmes de santé, a d’ailleurs introduit des cours optionnels sur le sujet en 1er et 2e cycle de formation initiale de l’école. Elle planche en ce moment sur une offre plus large qui pourrait mener à la rentrée 2026 sur l’ouverture d’un double diplôme entre l’école et l’ISPED (Institut de santé publique d’épidémiologie et de développement) de l’Université de Bordeaux. La santé est bien un domaine porteur à Sciences Po Bordeaux !

1 Organisme Paritaire Collecteur Agréé pour collecter et gérer les fonds de la formation professionnelle continue

2 Avec le soutien de formateurs d’autres IEP de France selon les lieux d’intervention

 

 

Interviews

Vincent-Nicolas Delpech, Directeur Général du CHU de Bordeaux

Une stratégie d'ouverture de l'hôpital public

Le CHU de Bordeaux et Sciences Po Bordeaux collaborent depuis des années ensemble. Comment ce partenariat se traduit-il ?

Cette collaboration est issue d’une convention signée en 2022. Elle illustre parfaitement le rôle que doivent jouer deux institutions de notre région et se traduit par des échanges entre nos structures respectives. Je me félicite à ce titre d’accueillir chaque année au sein du CHU des élèves de Sciences Po Bordeaux en stage ou en apprentissage. Le fait d’intégrer dans nos équipes des étudiants bien formés et réactifs apporte de la valeur ajoutée à nos directions. À l’inverse, nos dirigeants hospitaliers participent régulièrement à la vie de pédagogique de l’école, moi le premier. J’ai ainsi le plaisir de participer à certains jurys et d’être le parrain de votre dernière promotion de diplômés. Enfin, il y a bien évidemment le volet « formation continue » qui prend désormais une ampleur particulière…

Qu’est-ce que l’enseignement Sciences Po Bordeaux apporte à un établissement de soins comme le vôtre ?

Avec plus de 15 000 salariés, le CHU de Bordeaux est l’un des plus importants centres hospitaliers de France et le premier employeur de Nouvelle-Aquitaine. Il est connu pour son excellence clinique et sa recherche médicale. Je suis convaincu que nous pouvons parfaire notre organisation en nous appuyant sur l’expertise des sciences sociales de l’IEP afin d’être force de proposition pour des innovations dans notre fonctionnement et la chefferie de projet par exemple. Le rapprochement de nos deux mondes est une source d’enrichissement.

L’ANFH vous a confié à ce titre la mission en lien avec Sciences Po Bordeaux de former au plan national des médecins appelés à des fonctions managériales à travers un « parcours de formation modulaire pour les managers médicaux ». En tant que DG du CHU, quel regard portez-vous sur l’intérêt de cette formation ?

Les hôpitaux ont vécu deux crises majeures en cinq ans : celle du Covid et celle des ressources humaines avec le reflux de personnels soignants. Cette seconde difficulté n’est pas franco-française mais se vérifie à une échelle internationale. Elle s’explique notamment par la surcharge de travail pendant la crise sanitaire mais aussi au fait qu’à l’hôpital il y a des sujétions particulières, le télétravail qui est rentré massivement dans les mœurs, n’est pas possible. Un autre élément de contexte est à prendre en compte : l’univers hospitalier a fonctionné longtemps selon un mode très hiérarchisé. Celui-ci s’avère aujourd’hui dépassé. Pour répondre à ces modifications profondes, iI faut inventer un nouveau management en résonance avec les attentes des nouvelles générations de médecins qui sont appelés à occuper des fonctions de chef de service ou de pôle. Si nous ne portons pas ces changements au sein de l’hôpital public, je crains une crise durable des RH qui aboutira à la fragilité définitive de notre système de santé…

Vous avez aussi intégré sept formations dispensées par Sciences Po Bordeaux à votre catalogue de formation pour des personnels « non soignants ». Quel est l’objectif recherché pour votre personnel et en quoi ces formations peuvent-elles être bénéfiques in fine aux patients ?

Le contexte que je viens d’évoquer pour les médecins l’est aussi pour le personnel non-soignant. Notre CHU et Sciences Po Bordeaux s’attellent à ce défi pour imaginer et déployer des innovations managériales pour une alliance de gouvernance. Tous les managers au sein de l’hôpital doivent comprendre les évolutions sociétales majeures que nous vivons, et nous y adapter. Cette approche salutaire va rejaillir sur la qualité de vie au travail au sein des équipes et des établissements et donc, in fine, participera à l’amélioration de l’expérience des patients. J’insiste sur le fait que tout le fonctionnement du CHU de Bordeaux vise à une meilleure prise en compte des patients, ce qui passe par la qualité des soins, mais aussi une meilleure communication à leur égard avec la prise en compte réelle de leurs avis, de leurs attentes. Par ailleurs, je suis partisan d’ouvrir l’hôpital vers les partenaires du territoire : universités et grandes écoles, médecine de ville, autres structures de soins, acteurs sociaux et économiques, etc. C’est ce que fait le CHU de Bordeaux, pivot de l’organisation de la santé régionale, pour lutter contre les déserts médicaux par exemple ou encore stimuler la recherche médicale via le soutien à des startups. La collaboration avec Sciences Po Bordeaux que j’évoquais en préambule s’inscrit dans cette stratégie.

Aurélie Valade, praticien hospitalier-pédiatre et cheffe du pôle Mère Enfant du Groupement hospitalier de territoire Navarre Côte Basque

Je parle désormais le même langage qu'une direction d'hôpital

Pourquoi avez-vous suivi la formation Executive Master Management et transformation de l’action publique (MTAP) de Sciences Po Bordeaux ?

Je savais que je serai amenée à prendre à terme de nouvelles responsabilités dans mon activité professionnelle. Je me suis renseignée pour suivre une formation au management. La Covid m’a également fait réfléchir sur notre système de santé. Votre école ouvrait ce master en formation continue au même moment. Durant ma formation secondaire, j’étais aussi attirée au lycée par les lettres et les sciences humaines. L’idée de prendre de la hauteur en suivant cette formation dans une école d’excellence a beaucoup joué aussi. La conjonction de tous ces facteurs explique mon choix.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer et le plus gratifiant dans ce projet qui, au final, a duré deux ans ?

Durant cette formation, j’ai continué à remplir mes missions cliniques (consultations, gardes…) sans que cela perturbe le service, une partie du temps imparti à cette formation l’était sur un temps partiel que j’occupais alors, le reste était comptabilisé sur mon temps de formation (10 jours impartis annuellement au praticien hospitalier). Il fallait par ailleurs que prenne cette décision en accord avec mon conjoint et mes enfants, dont le quotidien a forcément été bousculé. J’étais à Sciences Po Bordeaux deux jours minimum par mois et j’avais en sus un gros travail personnel à faire à la maison parallèlement à mon travail à l’hôpital. Le plus gratifiant a été d’obtenir les quatre blocs de compétences de ce Master. Cela prouve que, même si le métier de soignant demande beaucoup de temps et d’énergie, il est possible en tant que médecin de suivre une formation longue éloignée des techniques médicales mais qui s’avère in fine particulièrement utile désormais dans ma fonction de Cheffe de poste d’un groupement hospitalier.

Que retenez-vous de cette formation et que vous a-t-elle apportée ?

Nous devons acquérir en tant que médecin une somme de savoirs scientifiques telle qu’on en oublie le reste. Avant ma formation à Sciences Po, je n’avais pas le réflexe, le temps aussi de m’intéresser à d’autres sujets que la médecine. Or, une formation pluridisciplinaire comme l’Executive Master MTPA « rouvre l’esprit » et m’a permis d’acquérir des connaissances précieuses en économie et en sociologie. Je suis désormais en capacité de décrypter notre système de santé et ses orientations. Cela implique concrètement que je parle le même langage qu’une direction d’hôpital par exemple. Je comprends mieux ses objectifs en amont, et je suis plus armée pour présenter et développer mon argumentaire en aval. Je tiens à saluer à ce titre la qualité de l’enseignement dispensé, la pertinence des travaux demandés, et l’accompagnement de l’équipe de formation continue de Sciences Po Bordeaux.

Puisque la démarche est manifestement salutaire, pourquoi peu de médecins sont formés au management ?

Il faut bien comprendre que les missions managériales confiées à des médecins s’entendent pour des mandats relativement courts (4 ans renouvelable) où il faut combiner les rudiments du management avec une activité professionnelle intense. De plus, tous les médecins n’ont pas cette fibre. Maintenant, je trouve qu’il serait salutaire dès la formation initiale des étudiants en médecine - en sus du renforcement des cours de santé publique – que soit intégré des cours de communication, d’économie de la santé et de sociologie. Cette approche serait profitable aussi bien aux médecins qu’aux patients et aux directions d’hôpitaux. Il est évident que je ne serai pas aujourd’hui la même cheffe de pôle sans cette formation !

Tonya Tartour, maîtresse de conférences à Sciences Po Bordeaux et chercheuse au Centre Emile Durkheim

Comprendre les enjeux nationaux pour mieux appréhender les décisions locales

Vous avez été chargée de piloter le module « gouvernance hospitalière » du plan de formation « parcours de formation modulaire pour les managers médicaux » dispensé par Sciences Po Bordeaux. Quels sont ses fondamentaux ?

La maquette pédagogique de cette formation a été réalisée en collaboration avec Anne-Laure Bedu, professeure associée à Sciences Po Bordeaux, qui est plutôt spécialisée dans le domaine du management public. De mon côté, mes recherches portent depuis plusieurs années sur les mondes de la santé, et particulièrement l'hôpital comme environnement de travail. Nos expertises se sont révélées vraiment complémentaires pour concevoir le module sur la « gouvernance hospitalière ». L'idée est de présenter l’architecture du système de santé en France et ses évolutions d'une manière adaptée à des médecins hospitaliers, pour qu'ils comprennent l’écosystème décisionnel dans lequel ils évoluent.

Est-ce à dire que les médecins hospitaliers comprennent difficilement les politiques de santé ?

D’abord, ils les comprennent mal parce qu’on ne leur explique pas. Donc, lorsque les médecins sont appelés à des fonctions managériales pour lesquelles ils n’ont jamais été formés, ils se sentent démunis. Avec cette formation, on souhaite les outiller pour appréhender la dichotomie fondamentale, dans laquelle ils et elles se trouvent au quotidien : leur engagement clinique les pousse à vouloir fournir des soins de la meilleure qualité possible, alors que les réformes qui les touchent visent davantage des critères budgétaires. À partir du contenu pédagogique, on décortique les enjeux à l’échelle nationale pour qu’ils et elles décodent mieux ce qu’il se passe dans leur établissement.

Justement, qu’est-ce qui se passe d’essentiel en termes de management dans l’hôpital public aujourd’hui ?

Il est difficile de répondre simplement en quelques mots à une question si complexe. On peut résumer en disant qu’on assiste à un changement de paradigme avec la volonté des politiques publiques d’enrôler les acteurs professionnels dans la conduite du changement. On parle depuis une quinzaine d’années de « médicaliser le management hospitalier » ; je préfère parler de « managérialiser la médecine », c’est à dire un processus d’acculturation des médecins aux logiques managériales. Je l’illustre, par exemple avec les financements sur projet, qui se multiplient dans le secteur hospitalier (comme dans d’autres secteurs d’action publique, par exemple la recherche). En associant le corps médical, via la rédaction (plus ou moins) volontaire de projets organisationnels, l’objectif des tutelles (Agences régionales de Santé et ministère de la Santé) est de conduire une réforme de l’organisation des soins qui apparaît comme légitime, puisqu’elle est menée par les acteurs du soin eux-mêmes. Or en réalité, il s’agit de réaliser des transformations qui vont bien souvent à l’encontre des intérêts cliniques : fermeture des lits, recours à l’ambulatoire, multiplication des organisations.

Quelle est votre posture de la formation continue de Sciences Po Bordeaux sur ce point vis-à-vis des médecins que vous formez ?

Notre rôle est de présenter le plus objectivement possible ces évolutions afin que les médecins comprennent ce qui se joue sous leurs yeux. Ensuite, nous les accompagnons pour leur permettre d’identifier les marges de manœuvre qui sont les leurs et sur lesquelles ils peuvent agir. Pour cela, le module repose notamment sur la sociologie des organisations, afin de leur faire toucher du doigt un point essentiel : la question des « relations de pouvoir », centrale au sein de l’hôpital.