04 décembre 2025|Formation

Sciences Po Bordeaux : une place forte de l'économie sociale et solidaire

Entre l’organisation de la 10e Conférence internationale de recherche en économie sociale, le Forum mondial GSEF Bordeaux 2025 marqué par le rôle clé d’acteurs de l’institut, deux masters en formation initiale et continue, une association et une coopérative animées par des étudiant(e)s et sa Chaire TerrESS, Sciences Po Bordeaux se positionne comme l’un des centres névralgiques en France de l’ESS

10 800 participants, 109 pays représentés, 169 ateliers, plus de 600 intervenants... le Forum mondial de l’économie sociale et solidaire GSEF1 à Bordeaux du 29 au 31 octobre 2025 a battu tous les records pour sa 7e édition. Une satisfaction pour Timothée Duverger, chargé de présider le comité scientifique d’un événement d’envergure planétaire composé d’acteurs et de chercheurs nationaux et internationaux. « L’objectif était de construire un programme équilibré dans l’origine des expressions et dans les sujets proposés sur la base de la thématique qui avait été choisie ». Laquelle portait sur « l’ESS, une condition pour la transformation juste vers des territoires résilients et le bien-être de leurs habitants ». Un sujet de choix pour ce docteur en histoire et enseignant à Sciences Po Bordeaux, reconnu comme l’un des spécialistes français de l’ESS, et fervent défenseur du concept de Responsabilité Territoriale des Entreprises (RTE). Une expertise qu’il transmet aux étudiants de l’institut puisqu’il est responsable de son master Économie sociale et solidaire et innovation sociale (ESSIS). Une de ses étudiantes de M2 - Jeanne Morel - a d’ailleurs brillé lors du GESF en tant que coordinatrice du comité scientifique. Recrutée par la manifestation en qualité d’alternante, elle en a été l’une des chevilles ouvrières (lire son interview plus bas). L’occasion pour elle de livrer son sentiment sur son cursus et ce qu’elle en retire.

Sciences Po Bordeaux au cœur de la recherche mondiale en ESS

Un événement pouvant en cacher un autre, Sciences Po Bordeaux a accueilli dans ses locaux deux jours avant le GSEF la 10e Conférence internationale de recherche en économie sociale du CIRIEC2. Soit 400 participants célébrant à cette occasion deux décennies de collaboration académique et professionnelle autour de l’étude et de la promotion de l’économie sociale, avec la participation d’universitaires issus de plus de 50 pays. Ce rendez-vous de référence mondiale constitue un espace clé pour débattre des enjeux et opportunités du secteur dans des contextes particulièrement dynamiques et changeants. Maître de cérémonie de ce rassemblement, Timothée Duverger était aux premières loges pour évoquer le renforcement des liens entre la science politique et l’ESS, mais aussi la nécessité de flécher les compétences de celles et ceux qui demain seront en charge de ces enjeux au regard de leurs évolutions.

Un master tout terrain

Le responsable du master ESSIS3 pousse à ce titre pour la montée en puissance académique des formations d’enseignement supérieur dans l’ESS. Une démarche qu’il déploie au sein de l’établissement en commençant par proposer à ses étudiants un solide cursus qui débouche sur des profils d’ingénierie de projets territoriaux. « Ce secteur a un besoin très fort de professionnels de haut niveau en capacité de répondre aux nouveaux modes d’actions publiques et d’initiatives citoyennes qui émergent » précise-t-il. L’évolution de la maquette pédagogique du 2e cycle de Sciences Po Bordeaux - effective à la prochaine rentrée - sera l’occasion d’étoffer le parcours de master actuel. Ce dernier, placé au sein d’un pôle de formation sur « l’économie des transitions », bénéficiera de nouveaux cours magistraux partagés avec d’autres formations, sur l’économie de la post-croissance, les inégalités ou la gouvernance des entreprises et des territoires. Il transmettra également des méthodes statistiques et d’analyses des réseaux. Timothée Duverger a aussi innové en solidifiant l’acquisition des connaissances par une pratique de terrain. Les étudiants de première année s’impliquent à ce titre dans l’association ESSplicite de promotion de l’économie sociale et solidaire avant de prendre en charge en deuxième année la coopérative Acc’ESS, tant dans sa gestion du quotidien que dans la réalisation de prestations du type « cabinet conseil » à destination de véritables donneurs d’ordre du secteur public et de l’ESS. Mélanie Thuillier, co-directrice de la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire de Nouvelle-Aquitaine (CRESS), accompagne les élèves de chaque promo dans ce challenge (lire son interview plus bas). Cette société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) de plein exercice existe depuis 2021 et détonne dans le milieu universitaire par son objet, son fonctionnement et ses résultats probants.

La formation continue et une Chaire pour compléter un écosystème foisonnant

La demande de montées en compétences dans le domaine de l’ESS a conduit également la formation continue de Sciences Po Bordeaux à créer l’Executive Master Stratégie, territoires et projets innovants dans l’économie sociale et solidaire (STPI-ESS). Modulaire et diplômante, cette formation destinée aux acteurs de l’ESS constitue une opportunité pour les personnes qui n’ont pas eu l’opportunité de suivre un cursus à Sciences Po Bordeaux et qui aspirent à de nouvelles fonctions et responsabilités. Considéré comme « un IEP de la 2e chance », cet Executive Master apporte des fondamentaux pour élaborer une stratégie ESS et savoir mobiliser les ressources et les partenaires d’un territoire. Un leitmotiv que partage pleinement la Chaire TerrESS. Créée en 2020 et animée par Amélia Gustave sous la responsabilité de Timothée Duverger, celle-ci agit comme une interface entre le monde de la recherche, l’économie sociale et solidaire (ESS) et la formation, servant notamment d’appui aux projets des étudiants. Soit la dernière pièce d’un puzzle qui fait de Sciences Po Bordeaux une place forte de l’ESS au plan régional, national et, depuis quelques années, à l’échelle internationale. « L’économie sociale et solidaire est une orientation structurante à Sciences Po Bordeaux depuis plus de 10 ans » confirme Timothée Duverger avant de conclure. « À l’initiative de Robert Lafore, nous y avons progressivement créé un master en formation initiale, puis un autre en formation continue, desquels sont nés une chaire, une association et une coopérative étudiantes. Cet ensemble continue d’essaimer au sein de l’établissement et de poser des jalons pour l’avenir. Le fait d’avoir accueilli ou participé aux deux plus grands événements mondiaux de la discipline constitue une forme de reconnaissance du travail accompli jusqu’à ce jour mais en aucune façon un aboutissement. Il nous reste tant à faire ! »

 

1 Global Forum for social and solidarity economy

2 CIRIEC : Centre international de recherches et d'information sur l'économie publique, sociale et coopérative

3 Parcours de master ESSIS : Économie sociale et solidaire et innovation sociale

Interviews

Jeanne Morel, diplômée 2025 Master ESSIS

"Un master d'une grande richesse grâce à son écosystème"

Pourquoi avez-vous opté pour le parcours de master ESSIS de Sciences Po Bordeaux ?

J’ai effectué une prépa de sciences économiques, ce qui amène assez naturellement à passer le concours d’une école de commerce. Pour autant, je trouvais que cette orientation manquait de sens et j’ai préféré effectuer une licence éco-gestion option sciences du management à l’Université de Bordeaux pour me laisser le temps de réfléchir. À son issue, comme mon souhait était de réunir « l’économie » et « le social », j’ai tapé ces deux occurrences sur mon Master et j’ai découvert le master ESSIS de Sciences Po Bordeaux, mais aussi ce que l’on entendait par « Économie Sociale et Solidaire ». J’ai potassé le sujet et il devenait évident pour moi que c’était le cursus qui me correspondait...

Quel bilan tirez-vous de ce master ?

Le bilan est très positif. Il tient à la qualité de la formation bien évidemment, mais aussi à son écosystème. Ainsi, les étudiants de M1 gèrent l’association ESSplicite dont la finalité est de sensibiliser le grand public à l’ESS. J’ai eu le plaisir d’être présidente de cette asso qui réalise entre 15 et 20 interventions dans les établissements scolaires et des forums pour faire connaître cette économie. En M2, on passe à une approche toujours aussi pratique mais plus professionnelle puisque la promotion, d’une vingtaine d’étudiants chaque année, assure le quotidien d’une coopérative dénommée Acc’ESS encadrée par Mélanie Thuillier. Cette société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) fonctionne selon le principe d’un cabinet de conseil. Nous sommes chargés à la fois de sa vie interne à travers différentes commissions et de la fourniture d’études et de prestations, fruits de commandes de vrais clients de l’ESS. Personnellement, j’ai planché sur la conception, la rédaction et la réalisation d’un livret1 sur la contribution de l’ESS aux objectifs de développement durable à l’échelle régionale. Je garde le lien avec cette coopérative puisque les étudiants m’ont élue pour un an co-présidente de l’association afin d’assurer dans les meilleures conditions le relais entre notre promo et celle de 2025-2026.

Que vous a apporté votre alternance en deuxième année de master ? 

J’ai eu la chance d’être coordinatrice du comité scientifique du Forum Bordeaux GSEF 2025, autrement dit le plus grand forum au monde de l’ESS, sous la direction de Timothée Duverger. Cette expérience a été d’une intensité folle. J’ai été chargée de coordonner la programmation de 169 ateliers sur trois jours en trois lieux différents regroupant au total entre 600 et 650 intervenants, autrement dit gérer la dimension programmatique de l’événement de A à Z hors logistique. Il y a donc eu une dimension opérationnelle particulièrement forte. Mais en amont, il faut savoir qu’un appel à candidature avait été effectué pour recueillir des thématiques d’ateliers et j’ai analysé 860 contributions à cet effet, ce qui m’a apporté ainsi une vision des sujets d’actualité de l’ESS au plan mondial. En conclusion, cette expérience vient enrichir mon cursus et me donne des armes pour mon insertion professionnelle.

1 Document réalisé sous l’impulsion de la Chaire TerrESS, Sciences Po Bordeaux et de la Chambre Régionale de l’ESS Nouvelle-Aquitaine.

Mélanie Thuillier, Co-directrice de la CRESS Nouvelle-Aquitaine

"Des étudiants engagés pour une société plus juste et plus équitable"

Quelles sont les natures de vos interventions à Sciences Po Bordeaux ?

L’essentiel de mes interventions concerne les M2 du Master ESSIS et porte sur la coopérative Acc’ESS. J’aide tout d’abord les étudiants à gérer la structure, à savoir prendre en main l’outil et organiser son fonctionnement collectif. Je les accompagne par ailleurs dans les missions qui leur sont confiées, dans l’esprit d’une société de conseil. Cet encadrement est nécessaire compte-tenu du challenge à relever. Les commandes émanent de vrais donneurs d’ordre en attente d’une certaine qualité de service et de production, même si ces derniers savent que les travaux sont réalisés par des étudiant·es. J’interviens par ailleurs auprès de la promo M1 de ce cursus pour les préparer à cette échéance. Je suis aussi sollicitée pour intervenir dans le programme « Stratégies, territoires et projets innovants dans l’Économie Sociale et Solidaire » de l’Executive Master de formation continue de Sciences Po Bordeaux.

Comment fonctionne concrètement cette coopérative Acc’ESS ?

Les étudiant·es sont répartis en six pôles couvrant la totalité du spectre de gestion d’une structure coopérative. Ils bénéficient d’une grande autonomie, même si Timothée Duverger et moi-même veillons au grain. La structure jouit après plusieurs années de fonctionnement d’une petite réputation car les travaux fournis sont de bonne facture. Je peux vous assurer que certaines prestations n’ont pas à rougir de la comparaison avec certains cabinets. Néanmoins, il faut rester humble car il nous arrive de refuser des missions qui ne sont pas adaptées à nos étudiants. Je remercie la direction de Sciences Po Bordeaux d’avoir accepté la création de cette société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) en 2021, plutôt atypique dans le paysage universitaire français. Elle permet à des étudiants engagés pour une société plus juste et plus équitable de faire leurs premières armes dans le monde de l’ESS.

Comment analysez-vous le secteur de l’ESS et ses possibles évolutions ?

La situation de l’ESS s’avère paradoxale. D’un côté, elle enregistre un réel engouement en France comme à l’étranger, à l’instar du succès du Forum Bordeaux GSEF 2025. De plus en plus de citoyens - notamment les jeunes générations - adhèrent à ses valeurs. De l’autre, la crise politique, économique et sociale actuelle touche de plein fouet le secteur. Celui-ci reste en effet lié par son ADN au secteur public car il concerne souvent des missions d’intérêt général. De nombreux acteurs de l’ESS sont donc structurellement en difficulté en raison du désengagement financier des collectivités. Dans ce contexte, la professionnalisation de cette économie s’avère primordiale pour apporter des compétences affirmées aux postes les plus stratégiques. J’essaie pour autant de rester optimiste car L’ESS a toujours démontré ses capacités d’innovation tout en gardant son esprit militant. Elle est ainsi à l’origine de la création de nouveaux métiers, comme ceux d’agent de recyclerie ou d’animateur de tiers-lieux par exemple. Elle sait aussi faire preuve d’adaptation. Une réflexion sur nos modèles et nos statuts est justement en cours à ce titre.

1 Vie coopérative, vie interne, commercial, financier, communication et partenariat