05 octobre 2023|Sciences Po Bordeaux

Quand tous les chemins mènent à la bibliothèque

Lieu de vie et point de rencontre au cœur de l’établissement, la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux s’avère incontournable pour les étudiants, les enseignants et les chercheurs dans le cadre de leurs travaux. Elle abrite à cet effet une pléiade d’ouvrages mais aussi des collections rares, dont le fonds Jacques Ellul.

À l’heure où le livre fait débat entre ceux qui fustigent une lente agonie de la lecture1 et les autres plutôt optimistes face à son regain d’intérêt, comment se porte la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux en cette rentrée 2023/204 ? « Avec 140 000 entrées en 2022, nous retrouvons un rythme de croisière que la Covid 19 avait bousculé, en raison des confinements et des cours en distanciel, mais aussi de l’habitude prise par les étudiants à travailler seul chez eux » explique Aurélie Delamarre, sa nouvelle directrice, en poste depuis un an. Avec en ligne de mire la perspective de retrouver l’affluence « record » de 2019 avec 168 000 visiteurs. Une fréquentation très satisfaisante qui pousse l’établissement à prévoir son extension. La décision est actée, l’étude de sa mise en œuvre est en cours. Malgré 1 400 m2 d’espaces publics, le site est « parfois saturé, manquant de places différenciées » poursuit notre interlocutrice. Cette dernière fait référence aux multiples usages du lieu qui bénéficie d’un certain nombre d’atouts. Le premier, et non des moindres, tient à son emplacement, au cœur de l’Atrium de Sciences Po Bordeaux, c’est-à-dire la grande nef par laquelle transitent tous les étudiants. Une proximité qui va de pair avec sa modernité. Le site, à l’instar de l’école, a été entièrement réhabilité. Qualifiée de « lumineuse » et « confortable » par ses utilisateurs réguliers, la bibliothèque est aussi plébiscitée pour « son ambiance studieuse mais décontractée ».

Un espace de travail aux ressources illimitées

Une étude récente indiquait que 60% des élèves de l’Institut déclaraient fréquenter la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux tous les jours ou presque. On y vient bien évidemment pour profiter des espaces de travail et exploiter ses ressources au format imprimé ou numérique. Les archives de la bibliothèque1 abritent un demi-million de documents dont 143 000 livres imprimés, 8 000 dossiers de presse, 3 000 revues et plus de 10 000 travaux universitaires répertoriés. Pour l’anecdote, sachez que cette manne documentaire représente 7 km linéaire ! Avec quelque 25 000 titres de livres numériques consultables en ligne à partir de plateformes, près de 20 000 sources d’information et titres de presse français et étrangers2, la digitalisation offre par ailleurs un champ d’accès illimité à la connaissance, sans parler des dictionnaires, encyclopédies et autres vidéothèques, des généralistes aux plus spécialisées. Il est ainsi possible – c’est un exemple parmi tant d’autres – d’accéder à plus de 250 000 avis rendus par le Conseil d’État, 11 000 rapports publics officiels ou 1200 cartes au sujet de l’actualité française et internationale… « Ces ressources représentent une telle masse que l’école -dans le cadre de sa réforme – a instauré depuis cette rentrée une formation obligatoire auprès de tous les élèves de premier cycle sur la recherche documentaire donnant lieu à une évaluation » précise Aurélie Delamarre. L’objectif de cette formation est de donner aux étudiants des outils pour faire un tri pertinent dans cette masse d’information. Ce module de six heures permet en outre aux élèves d’évaluer la qualité d’un contenu, de savoir citer correctement leurs sources ou encore de mettre en perspective des données, soit un corpus de compétences informationnelles. Il est aussi prévu d’intégrer un chapitre sur l’intelligence artificielle, un sujet qui n’est pas un tabou pour l’établissement. « Nous souhaitons apprendre aux étudiants à mieux utiliser l’IA puisqu’elle fait désormais partie de notre environnement »

Un lieu de vie à part entière

Au-delà du prêt de livres ou de leur mise à disposition en libre-service, la bibliothèque est fréquentée pour d’autres raisons. Des espaces collaboratifs, sous la forme de quatre boxes de 4 à 10 places, sont utilisés par les élèves pour préparer des travaux de groupe. Un espace détente, paré de banquettes et coussins, est en outre à la disposition de chacun pour des pauses, sans oublier un kiosque en libre-service qui permet de consulter la presse nationale et internationale. Avec plus d'un quart d'élèves internationaux dans ses locaux, cet espace s’avère très cosmopolite. Précisons à ce titre que la bibliothèque de l’institut dispose d’une kyrielle de publications en langue anglaise, dont 1500 ouvrages de science politique et de relations internationales de la collection Taylor & Francis.

Des pépites dont le fonds Jacques Ellul

Né à Bordeaux en 1912 et décédé à Pessac en 1994, Jacques Ellul fait partie des figures tutélaires de Sciences Po Bordeaux. Le célèbre historien du droit, sociologue et théologien – connu du plus grand nombre pour ses ouvrages et travaux sur la thématique de la technique3 – a enseigné à l’école de 1948 à 1980. On ne compte plus dans l’établissement le nombre d’anciens étudiants de l’école influencés par le penseur, devenus à leur tour enseignants ou chercheurs. Créée en 1712, l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux lui rendaient encore hommage en mai dernier. Notre bibliothèque est délégataire du Fonds Jacques Ellul cédé 1997 par son fils Jean. Cette transmission a été facilitée par un enseignant chercheur de l’université de Bordeaux, Patrick Troude-Chastenet, qui a également travaillé sur ces archives. Le fonds contient essentiellement de la correspondance et des archives liées à sa vie universitaire : cours, travaux d’étudiants, communications à des colloques, journées d’étude... Ces sources viennent compléter des fonds d’archives conservés à la bibliothèque du Wheaton College (USA, Illinois) et à la bibliothèque Allison du Regent College (Vancouver), rappelant l’aura international de ses travaux. Ce fonds est complété par le fonds Charbonneau, ami d’Ellul et fondateur avec lui du personnalisme gascon, un courant fondateur de l’écologie politique. Ce 2eme fonds a été légué à Sciences Po Bordeaux en 2006 par Daniel Cérézuelle. Ces deux fonds font partie des collections patrimoniales de la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux et sont conservés en réserve précieuse. Leur descriptif est cependant consultable librement en ligne sur Calames4, le catalogue collectif des manuscrits conservés dans les bibliothèques françaises d’enseignement supérieur. Celle de Sciences Po Bordeaux regroupe par ailleurs les fonds du CED (Centre Emile Durkheim) et du LAM (Les Afriques dans le monde), soit 24 000 ouvrages portant sur les thématiques de recherche des deux laboratoires de l’institut. Là aussi, quelques pépites sont à dénicher…

Aurélie Delamarre, directrice de la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux

« Les bienfaits des ressources imprimées et numériques »

Diplômée de l’École des chartes spécialisée dans la formation aux sciences auxiliaires de l’histoire, Aurélie Delamarre a souhaité s’orienter vers une fonction bibliothécaire « qui rassemble le savoir et la diffusion ». D’où sa formation à l’ENSSIB, École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques placée sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. La nouvelle directrice de la bibliothèque de Bordeaux, en fonction depuis un an, a obtenu son premier poste universitaire à Reims avant de passer de la Champagne à Bordeaux où elle a officié pendant 11 ans à l’Université de Bordeaux à la bibliothèque des Sciences du Vivant et de la Santé (Campus Carreire) et à la bibliothèque des Sciences et techniques (Talence). L’occasion pour elle de rappeler que les cinq bibliothèques du périmètre universitaire bordelais5 travaillent en réseau grâce à un catalogue commun accessible via la documentation numérique BABORD+. « J’avais très envie de revenir dans l’univers des sciences humaines ou le rapport au livre imprimé reste encore très prégnant » explique-t-elle, rappelant à ce titre que des études montrent une meilleure assimilation des connaissances avec un support écrit que numérique. Pour autant, la bibliothèque de Bordeaux joue pleinement la complémentarité entre les deux modes de lecture. « S’il est indéniable que le prêt d’ouvrages diminue, une bibliothèque n’a pas d’obligation de rentabilité immédiate. Elle a aussi vocation à conserver les ressources dans le temps et répondre ainsi à son rôle de mission de conservation ». Aurélie Delamarre fait ainsi observer que la bibliothèque de l’école possède de remarquables collections, comme celles du quotidien Le Monde depuis 1944 et de la Revue des deux mondes comme celle du Figaro par exemple. Omniprésentes aujourd’hui, les supports numériques sont moindres e revanche sur les ouvrages antérieurs aux années 1980, preuve de la nécessité de leur coexistence avec des ressources imprimées.

1 Cf les livres de Michel Desmurget, neuroscientifique, auteur de La fabrique du crétin digital et Faites-les lire aux éditions Seuil

2 Grâce aux accès Europress et Factiva

3 Dont sa trilogie « La Technique – Le Système technicien – Le bluff technicien »

4 Fonds Ellul : http://www.calames.abes.fr/pub/#details?id=FileId-1708 - Fonds Charbonneau : http://www.calames.abes.fr/pub/#details?id=FileId-1707

5 Université de Bordeaux, Université de Bordeaux Montaigne, Sciences Po Bordeaux, Bordeaux Sciences Agro et Bordeaux INP

Des élèves à livre ouvert

Sciences Po Bordeaux emploie une dizaine d’élèves de l’école à temps partiel en qualité de monitrice ou moniteur bibliothèque. Cette mesure permet d’élargir l’amplitude horaire du site tout en offrant à des élèves une activité rémunérée. Deux d’entre eux témoignent…

Océane Hiri, 22 ans, 5e année Stratégies et gouvernances métropolitaines (SGM)

« Un espace de rencontres et d'échanges »

« Originaire des Landes, je suis arrivée à Sciences Po Bordeaux en 1ère année. Je travaille pour la deuxième année consécutive à la bibliothèque de l’établissement comme monitrice, du moins pendant le premier semestre puisque je partirai ensuite en stage de longue durée de fin d’études. J’ai eu la chance d’être sélectionnée pour ce poste qui présente de nombreux avantages. Le premier est pratico-pratique puisque je travaille sur mon lieu d’études. Le second est d’occuper un poste varié, puisque je peux aussi bien aider les étudiants à trouver un livre que remettre des ouvrages en rayon ou encore aller en chercher dans les réserves au sous-sol, ce que j’aime bien car cela s’apparente à une chasse au trésor. De plus, pendant les moments calmes, j’ai l’opportunité d’étudier, autrement dit de pouvoir travaille tout en étant rémunérée, ce qui suscite un peu de jalousie de la part de mes ami (e) s (sourire) !

Une ambiance agréable

J’apprécie aussi l’ambiance de travail, avec un personnel bienveillant à l’égard des monitrices et moniteurs. On fait vraiment partie de l’équipe et j’ai eu d’ailleurs plaisir à les revoir. Je me dis d’ailleurs que dans quelques années, lorsque je reviendrai dans l’établissement, je pourrais revoir des têtes que je connais. Je me destine à une profession en lien avec les territoires et, à ce titre, j’ai pris conscience du poids d’une bibliothèque comme espace de rencontres et d’échanges. Ce n’est pas qu’un lieu de culture. La bibliothèque de Sciences Po Bordeaux est spacieuse, lumineuse et calme. Si l’atmosphère se veut sérieuse, elle n’est pas guindée. J’ai le sentiment que les étudiants s’y sentent à l’aise. Enfin, il faut saluer les outils numériques mis à disposition par l’école qui permettent d’obtenir des infos pratiques sur la bibliothèque, ce qui facilite grandement son utilisation et permet de préparer sa venue sur site ».

Victor Mazy, 22 ans, 5e année Science politique et sociologie comparatives (SPSC)

« Un membre à part entière de l'équipe »

« Après mon bac scientifique à Bazas (33), j’ai intégré Sciences Po Bordeaux où j’ai découvert dès ma première année sa bibliothèque à la faveur d’une petite séance de formation sur son fonctionnement. J’avais été assez impressionné par son offre de service, ce qui m’avait donné envie d’y retourner. J’ai vite compris son potentiel même si elle avait à mes yeux un petit côté mystérieux. J’avais été frappé par son ampleur, avec ses trois salles, ses collections et ses sous-sols que j’imaginai immenses… À l’époque, je venais essentiellement seul. À partir de la 3e année, la logique s’est inversée puisque la bibliothèque est devenue un point de ralliement avec des ami·e·s de l’établissement. En fait, on travaillait tous individuellement, mais entouré d’autres étudiants. Cette configuration évite l’isolement et motive d’une certaine façon…

Un passage obligé

Compte-tenu de mon master et d’une possible orientation dans le monde de la recherche, la bibliothèque constitue un passage obligé pour moi. J’y ai donc passé du temps ! J’avais eu l’information d’un recrutement d’étudiants de l’école par le bouche-à-oreille et ma candidature a été retenue. J’y travaille 8 heures par semaine en moyenne, un peu plus avant les partiels1. Cette opportunité constitue un excellent compromis entre une activité enrichissante et un petit job qui – même si je ne suis pas dans une situation financière précaire – est bienvenu sur le plan pécuniaire. Mon rôle consiste à accueillir le public et l’orienter, l’aider et le conseiller le cas échéant, ainsi que d’assurer les tâches basiques en lien avec la gestion des ouvrages. Aussi, même s’il m’arrive encore d’emprunter des livres, je suis surtout passé « de l’autre côté » du comptoir au sein d’une équipe assez jeune, ouverte et très sympathique. D’ailleurs, je ne suis pas toujours perçu comme un étudiant moniteur mais de plus en plus comme un membre à part entière de la bibliothèque ».

 

1 La bibliothèque de Sciences Po Bordeaux élargit son amplitude horaire deux semaines avant les partiels des étudiants, leur permettant ainsi de travailler plus longtemps