Avant-propos
Le dossier ci-après n’a pas une vocation universitaire, comme pourrait l’avoir un mémoire. Il a encore moins de prétention scientifique, comme des travaux de recherche effectués dans les règles de l’art. Il ne s’agit donc que d’une enquête réalisée dans un esprit journalistique dont la finalité est la suivante : tenter de brosser le portrait des étudiants de Sciences Po Bordeaux en 2025 et s’essayer à une comparaison avec leurs congénères diplômés dans les années 2000 et 1970. Soit un saut générationnel en deux temps à travers plus de 50 ans d’évolution sociétale. Cet angle plutôt original se double d’une méthode innovante puisque Sciences Po Bordeaux a demandé à des étudiant·es de l’école attiré·es par le journalisme de participer activement à la réalisation de ce reportage. Il nous a semblé nécessaire en effet de laisser à des élèves de l’école interviewer et sonder leurs pairs afin de faciliter leur liberté d’expression et de pouvoir ainsi aborder toutes les thématiques sans tabou, de leurs aspirations personnelles et professionnelles à leur vie amoureuse en passant par leur vision du pouvoir, de la religion, de l’argent ou de la politique. Ce faisant, l’équipe de rédaction a ensuite croisé les données issues des témoignages de jeunes âgés de 18 à 23 ans actuellement à l’IEP avec le témoignage d’anciens élèves diplômés il y a 25 et 50 ans en leur demandant de se remémorer leurs aspirations lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves au sein de l’institut. Le contraste est-il saisissant ? Peut-on dessiner un continuum Sciences Po Bordeaux à travers les générations ? Quelles sont les lignes de fracture entre hier et aujourd’hui ? Que nous disent les étudiants de l’école de la génération 2025 ?
Cette enquête, diffusée par e-mail via les listes des groupes de promotion, a été adressée à l’ensemble des étudiants de la 1re à la 5e année entre février et mars 2025. Elle a recueilli 150 réponses anonymes sous forme de sondage.
La communauté étudiante de Sciences Po Bordeaux a-t-elle voté aux dernières législatives ? Combien serait prêt·es à ne plus jamais prendre l’avion ? Les étudiant·es se sentent-ils heureux·ses au sein de l’établissement ? Tant de questions se posent lorsque l’on veut brosser le portrait de toute une génération qui étudie actuellement au sein des murs de l’IEP. Un questionnaire anonyme a été administré à près de 150 étudiant·es, tous·tes scolarisé·es à Sciences Po Bordeaux. Voici les résultats de cette enquête...
56,4% des étudiants déclarent avoir participé à une manifestation au cours de l’année
La manifestation, mode de revendication par excellence, n’a pas disparu dans les pratiques de la génération Z. Seul un quart des sondés refusent catégoriquement de participer à l’une d’entre elles. D’autres façons d’agir existent, comme le boycott, déjà pratiqué par 91% des étudiant·es. L’année 2025 a été marquée par le blocage de l’établissement, à la suite d’un appel national face aux coupes budgétaires dans l’enseignement supérieur, auxquelles se sont ajoutées d’autres revendications. Deux-tiers des répondants affirment avoir participé au blocage. Il existe tant de thèmes qui peuvent donner lieu à des actions militantes, ces enjeux qui suscitent la colère, la révolte ou l’espoir. Les trois domaines les plus cités sont l’éducation et la culture (64%), la lutte contre les inégalités (57,6%) et le féminisme (54,4%). L’écologie ne se place qu’en quatrième position, devant l’antiracisme et la protection animale. L’encadrement du militantisme étudiant semble quant à lui avoir subi des transformations profondes. Les syndicats ont perdu leur rôle moteur dans la dynamique d’engagement, moins de 5% des sondés indiquent faire partie d’un syndicat. En revanche, cet appel d’air a été vite comblé par les associations étudiantes : 91,7% des interrogés déclarent faire partie de l’une d’entre elles, et près de la moitié sont membres du bureau de leur association. Cet engagement est aussi extra-IEP pour plus d’un tiers des élèves. La participation à la vie politique par le vote n’est pas perdue. 84,2% affirment avoir voté aux législatives anticipées de juin 2024. Pour ce qui est du positionnement sur l’échiquier politique (à prendre évidemment avec beaucoup de précautions), la réputation très orientée à gauche des étudiant·es de Sciences Po se confirme : 75% des répondant·es se positionnent à gauche, contre moins de 10% pour l’orientation à droite.
30,8% des étudiants affirment croire au destin
Les données sur les croyances et pratiques spirituelles peuvent parfois étonner, avec près d’un tiers des étudiant·es qui affirment croire au karma ou au destin, alors que la part de sondé·es se déclarant croyant·es est elle, plus faible (moins de 25%). Un signe que la spiritualité n’a pas disparu malgré la sécularisation ? En tout cas, la pratique religieuse chez les croyant·es ne faiblit pas, on compte 43,8% de pratique occasionnelle et 28,1% de pratique régulière. Les étudiant·es ressentent plutôt positivement leurs relations à Sciences Po Bordeaux, des notions comme le consentement ou l’égalité de traitement semblent bien intégrées par la communauté étudiante, et il est admis qu’il est plutôt facile de se faire des ami·e·s au sein de l’IEP. Cet effet communauté ressort quand on regarde l’entourage des sciences pistes, pour 45,1% d’entre eux, leur groupe de fréquentations régulières est composé uniquement d’étudiant·es de l’établissement. La question du bien-être donne des résultats intéressants. En effet, si la majorité des répondant·es se disent heureux au sein de l’IEP, quand ils évaluent le bonheur de leurs camarades, ce qu’ils perçoivent est différent. En effet, plus de la moitié des enquêté·es affirment que leurs semblables sont assez peu heureux·ses. L’évolution des mœurs se fait ressentir au sein de la communauté étudiante de Sciences Po Bordeaux. Par exemple, sur l’intégration des personnes LGBTQIA+, 78% des étudiant·es trouvent que celle-ci est très satisfaisante au sein de l’établissement. Ces chiffres élevés ne doivent pas occulter la réalité des discriminations encore trop présentes (SOS Homophobie décompte 2377 cas de LGBTIphobies en 2023 en France), ce qui pousse de nombreux·ses étudiant·es à lutter contre cette haine. L’injonction au mariage et à faire des enfants n’est plus absolue, et c’est presque la moitié des étudiant·es qui ne souhaitent plus s’y conformer (ou tout du moins n’en sont plus sûrs), la fidélité dans les relations amoureuses quant à elle reste la norme, et 80% des répondant·es affirment être prêts à garder leur partenaire toute leur vie.
78,2% des étudiant·es sont anxieux·ses face à l’actualité
Cerner la génération 2025 implique de s’intéresser à ce qui la préoccupe, et l’actualité anxiogène semble y participer . Assez logiquement, plus de la moitié des étudiant·es se disent pessimistes face à l’avenir. Il faut dire que les étudiant·es de Sciences Po Bordeaux sont au point avec ce qu’il se passe dans le monde, près des deux tiers se déclarent très bien informés, et 70% dédient des moments à l’information dans leur quotidien. Le marqueur de la génération Z et des “ipad kids” reste évidemment l’utilisation du téléphone et des réseaux sociaux. Bien que très utilisateurs de leur téléphone, ils n’y répondent plus ; seuls 36,1% des enquêté·es déclarent répondre systématiquement aux appels. Sans surprise, la génération 2025 utilise beaucoup son téléphone, entre 2 et 5 heures par jour pour 59% des étudiant·es voire entre 5 et 10 heures (18%). Les réseaux sociaux constituent une grande part de ce temps d’écran, et 43% affirment passer entre 2 et 5 heures dessus chaque jour. L’intelligence artificielle n’a pas attendu très longtemps pour imprégner complètement la vie quotidienne de la génération Z, et seuls 9% des sondé·es affirment ne jamais l’utiliser. L’usage naturel se trouve dans l’aide pour les études qui correspond à plus de 82% des usages, compréhensible lorsqu’on voit que ChatGPT peut résumer un article scientifique, proposer un plan détaillé ou corriger les fautes d’orthographes. Certains semblent néanmoins avoir complètement adopté l’IA, près de 20% affirment l’utiliser tous les jours, et pour des usages qui débordent des simples demandes scolaires.
Pour 94% des étudiant·es, choisir un métier qui a du sens est le plus important.
Le rapport au travail et les projections dans le monde professionnel sont cruciaux pour un public étudiant, c’est ce qui les attend à la sortie de l’IEP. Ce projet professionnel ne se forme souvent que très tard, plus de la moitié des enquêté·es déclarent ne pas savoir quelle voie ils/elles voulaient prendre à leur entrée en première année. Ce ne sont pas les considérations monétaires qui motivent le plus les étudiants. Ce critère arrive derrière la question de l’équilibre vie personnelle et professionnelle et celle du sens que l’on donne à son métier. Le travail semble de moins en moins constituer une finalité de vie, 30% déclarent que leur vie privée est plus importante que leur vie professionnelle.
Être écolo, plus facile à dire qu’à faire
L’écologie est un incontournable pour tous aujourd’hui, et sans grande surprise, plus de 80% des étudiant·es se considèrent écolos et affirment prendre en compte l’environnement dans leurs choix au quotidien. Pourtant agir face au changement climatique est plus facile à dire qu’à faire. 41% des sondé·es considèrent ne pas être cohérent·es dans leurs choix de vie face à leurs valeurs écologiques, et en grande majorité, aimeraient faire plus. La question des voyages et des moyens de transport est celle qui coince le plus. La moitié des étudiant·es ne se disent pas prêts à abandonner l’avion pour voyager, peu étonnant quand on sait que 53% ont pris l’avion entre 10 et 30 fois (voire parfois plus) dans leur vie.
La génération Sciences Po Bordeaux 2025 est engagée et connectée, deux de ses mots-clés favoris qui se déclinent par une capacité à se mobiliser fortement, notamment à travers des causes et des associations d’un côté, une consommation marquée des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, dont l’IA. Mais elle assume aussi - c’est peut-être un signe des temps - ses contradictions. Elle se dit "heureuse" mais aussi "anxieuse, inquiète et pessimiste" dans un monde où ni l’actualité, ni l’avenir ne semblent apporter du réconfort. Elle se veut écologique mais reconnaît son manque de cohérence en la matière. Elle aspire à une vie professionnelle épanouie mais entend favoriser la vie de famille. Face à cela, la solution serait-elle de s’évader ? C’est le cas pour une partie des sondé·es, qui préféreraient vivre en 1975 (13,5%) ou en 2000 (22,6%). Et oui, le vintage est aussi à la mode à Sciences Po Bordeaux !
Que pensent des anciens élèves (promotions 1973, 1997 et 2003) de cette génération 2025 ?
Nous avons communiqué à Noëlle Velly-Dzagoyan (1973), Julien Rousset (1997) et Laetitia Renom (2003) les résultats de l’enquête réalisée par des étudiants actuels sur leurs pairs. Puis nous leur avons demandé leur analyse, en s’essayant à une comparaison avec leur propre génération, à retrouver ci-dessous.