10 novembre 2022|Sciences Po Bordeaux

Au cœur de la diversité, la diversité à cœur !

Fidèle à ses valeurs et à son statut d’établissement public, Sciences Po Bordeaux multiplie les dispositifs d’égalité des chances. En complément de son programme JPPJV d’ouverture sociale et territoriale d’accès à son concours d’entrée, l’école contribue à favoriser la diversité des profils de ses étudiants à travers une série d’actions présentées ici.

Labellisé Cordée de la réussite, le dispositif JPPJV constitue la figure de proue des actions de diversité de l’école. Dans son sillage, les autres programmes OSE, BALAFON et FAIRE attestent de la volonté profonde et ancienne de l’institut de soutenir des publics moins favorisés que d’autres pour des raisons sociales, territoriales et/ou culturelles.

Sciences Po Bordeaux a organisé fin septembre 2022 sa conférence annuelle JPPJV en présence des actrices et acteurs concernés par ce dispositif d’égalité des chances : représentants du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine1 et de l’Académie de Bordeaux2, proviseurs et proviseurs-adjoints, conseillers principaux d’éducation (CPE) ou enseignants. Ce rendez-vous a marqué le lancement de la 19e saison d’un programme qui, d’année en année, poursuit sa raison d’être : offrir à des élèves de lycées de Nouvelle-Aquitaine moins favorisés que d’autres sur le plan social et/ou territorial un accompagnement au concours d’entrée à Sciences Po Bordeaux. Yves Déloye, Chargé de mission à l’égalité des chances au sein de l’Institut, a résumé en quelques chiffres le bilan de cette action qui porte ses fruits. Le premier concerne la réussite de candidats JPPJV, en très forte croissance ces dernières années. Cette cohorte est passée de 20 étudiants en 2016-2017 à 55 élèves en 2022-2023. Elle représente en cette rentrée universitaire 15% du nombre total d’élèves actuels en 1ere année dans l’établissement, un volume désormais significatif. Parmi les cinquante établissements concernés, plus des 2/3 ont permis à au moins un de leurs élèves de faire leur rentrée sur les bancs de l'école au début du mois de septembre dernier. Issus des académies de Bordeaux, Poitiers et Limoges, ils ont obtenu des résultats très satisfaisants compte tenu du caractère sélectif du concours de Sciences Po Bordeaux, tant en matière d’admissibilité (de 22% à 32%) que d’inscription (7% à 14%). « Preuve que c’est possible » a précisé Yves Déloye. Ce dernier a aussi mis aussi en avant le taux de boursiers du supérieur particulièrement élevé parmi les étudiants JPPJV de cette année par rapport aux années précédentes (70% en 2022 contre seulement 33% par exemple en 2016). Une satisfaction pour l’école car ce taux avait tendance à fléchir. Heureux de ces résultats, les intervenants de Sciences Po Bordeaux de cette conférence se sont bien gardés de toute autosatisfaction car ils souhaitent plus largement encore augmenter le nombre total de boursiers de l’école. Cette dernière est consciente à ce titre de son image qualifiée de « prestigieuse » qui pousse des lycéens éloignés socialement, géographiquement ou culturellement de l’institut à s’autocensurer alors qu’ils possèdent objectivement les aptitudes pour tenter et réussir le concours. D’où la mise en œuvre de la politique de diversité de l’établissement car « plus un concours est sélectif, plus il est socialement inégal ».

Lever les freins psychologiques

La dernière enquête sur les conditions de vie et d’études à Sciences Po Bordeaux de fin 2021 confirme les freins psychologiques de certaines catégories de lycéens. Elle indiquait ainsi que les élèves éligibles à un programme d’égalité des chances et d’accompagnement à la poursuite dans le supérieur étaient nettement moins confiants quant à leur réussite aux épreuves d’entrée à Sciences Po Bordeaux (28%) que l’ensemble des étudiants (45%). Or, l’Institut sait que la confiance en soi est un préalable en matière d’éducation. Un delta que le programme JPPJV s’efforce donc de lisser grâce à son accompagnement multifacettes ses liens avec ses partenaires – la Région, les Rectorats de Nouvelle-Aquitaine ainsi que l'association étudiante Haut les Mots – et avec les lycées qui sont au cœur de ce programme pour créer une dynamique positive. Cette mobilisation prend des formes multiples et variées : visite des établissements concernés, accueil des lycées pour présenter l’établissement, soutien pédagogique, création d’un centre de ressources numériques JPPJV-Cordées de la réussite, etc.

Vincent Tiberj, Directeur délégué à la Recherche, a décrypté lors de la conférence JPPJV l’algorithme de calcul des notes du concours d’entrée à Sciences Po Bordeaux et levé à cette occasion certaines interrogations. Il a montré comment le logiciel, en prenant en compte 35 éléments de mesure différents (moyennes ou notes), participait lui aussi à diversifier les critères d’appréciation des élèves au niveau de l'admissibilité au concours.

Les autres dispositifs de l’école

Le programme d’accompagnement à l’Orientation et Soutien aux Élèves des Lycées et collèges (OSE) s’inscrit dans la lignée de JPPJV, en cherchant à agir le plus tôt possible sur les déterminismes sociaux. Lancé en 2021, il vise en particulier des jeunes élèves de 3e et de seconde dont les établissements sont situés dans des zones rurales isolées auprès de qui l’Institut souhaite se fait connaître. Les mesures sont très concrètes pour les élèves : visite de Sciences Po Bordeaux couplée à une découverte culturelle, mise à disposition de ressources pédagogiques en ligne, atelier pédagogique à la prise de parole en public, parrainages d’élèves de Sciences Po Bordeaux issus de ces mêmes territoires…

Sciences Po Bordeaux cultive aussi la diversité au-delà de nos frontières, comme le prouve le programme BALAFON (Bordeaux-Afrique L’Ambition FONdatrice). Cette initiative inaugurée en 2016 permet à deux élèves méritants d’Afrique subsaharienne qui n’en auraient jamais eu les moyens autrement de suivre leur scolarité à l’Institut. Grâce au soutien de mécènes, le dispositif offre à ces jeunes issus de territoires africains non favorisés une prise en charge totale ou presque : gratuité des frais d’inscription, bourse de vie de 7 500 € et financement d’un billet d’avion par an, soutien au logement et un accompagnement spécifique avec la désignation d’un enseignant référent. Au terme de leur scolarité et après une première expérience professionnelle en France ou en Europe, Sciences Po Bordeaux espère que ces forces vives aspireront à servir les intérêts de leurs pays d’origine. Enfin, l’école apporte des aides sociales à ses étudiants. Elles se traduisent tout d’abord par des exonérations de droits de scolarité en fonction du revenu du foyer fiscal parental et selon le nombre de parts. Elles se manifestent aussi via son Fonds d’aide à l’insertion et à la réussite des élèves (FAIRE) financé pour majeure partie sur les ressources propres de l'établissement : financement de bourses sur critères sociaux et de bourses d’excellence pour faciliter la mobilité universitaire et en stage à l’étranger, soutien financier lors de stages professionnels (frais de déplacement, logement…), acquisition de matériels, etc. En agissant sur des leviers pédagogiques, psychologiques, logistiques et financiers, Sciences Po Bordeaux à la diversité à cœur !

1 Jean-Louis Nembrini, Vice-Président du Conseil Régional de la Nouvelle-Aquitaine en charge de l’éducation

2 Sébastien Fouchard, Délégué régional académique à l’insertion professionnelle, à l’orientation et à la lutte contre le décrochage scolaire (DRAIOLDS)

INTERVIEW

Yves Déloye, Chargé de mission à l’égalité des chances

En quoi le dispositif JPPJV est-il révélateur de la stratégie de diversité de Sciences Po Bordeaux ?

Les grandes écoles en France ont fait le constat que les élèves issus de milieux favorisés sur le plan éducatif, financier ou culturel étaient sur-representés dans leur effectif. Ce phénomène n’est pas nouveau et a été abondamment renseigné par la sociologie de l’éducation. Sciences Po Bordeaux n’échappe pas à la règle avec une particularité. À cette inégalité sociale s’ajoute dans notre région – la plus vaste de France – une inégalité territoriale. Nous observons en effet un nombre proportionnellement plus important d’élèves originaires des départements de notre façade atlantique par rapport aux autres territoires plus ruraux. Au sein même d’un même département, nous notons aussi des disparités profondes entre les lycées de centre-ville des grandes agglomérations et les établissements localisés en zone périurbaine ou rurale. Sciences Po Bordeaux s’est ému de cette situation dès 2005 et a lancé avec l’aide de la Région Aquitaine le dispositif JPPJV destiné à lisser ces inégalités sociales et/ou géographiques. Ce programme a été renouvelé et amplifié depuis, notamment avec la création de la grande région Nouvelle-Aquitaine. Contrairement à Sciences Po Paris par exemple, nous n’avons pas fait le choix de mettre en œuvre un dispositif de discrimination positive avec, par exemple, une voie d’accès réservée à ces élèves. Nous avons préféré mettre sur pied un dispositif pour les accompagner au sein de leur établissement afin de donner à des lycéens qui en ont le potentiel les moyens de préparer et de réussir notre concours d’entrée via Parcoursup. Ce travail, qui s’inscrit plus largement dans le dispositif des Cordées de la réussite, se caractérise par un partenariat étroit qui réunit la Région, les Rectorats des trois académies de Nouvelle-Aquitaine, les proviseurs, les enseignants, les élèves et, indirectement, leurs parents. Toute la communauté éducative est mobilisée à travers ce projet d’égalité des chances.

Quels enseignements tirez-vous de cette action dont l’ampleur et la durée dans le temps permettent de tirer objectivement certaines conclusions ?

Sciences Po Bordeaux est une filière sélective depuis sa création en 1948 et a vocation à le rester compte tenu du très grand nombre de demande d'entrée (plus de 6 000 désormais pour le seul cursus général). En revanche, il n’est pas acceptable que cette sélection renforce des inégalités sociales et territoriales qui deviennent de plus en plus marquées. Le programme JPPJV compense donc ces inégalités, lesquelles peuvent être sociales et/ou territoriales car elles ne se superposent pas forcément. Cela nous impose une méthode réflexive pour appréhender les freins observés et chercher à les lever. Ces derniers sont multiples : ils résultent d’un manque d’information, d’idées préconçues sur les instituts d’études politiques, d’inquiétudes liées à des problèmes matériels, logistiques ou financiers1, etc. Mais le blocage le plus prégnant et complexe à dépasser est souvent d’ordre psychologique. Il se traduit par une forme d’autocensure d’élèves qui pensent à tort que « Sciences Po Bordeaux n’est pas pour eux ». À ce titre, je précise que les élèves qui ont bénéficié du dispositif JPPJV se fondent avec nos autres étudiants dans une logique « d’invisibilisation » à laquelle nous tenons beaucoup. Après 18 ans de pratique et d’analyse de nos promotions, nous pouvons affirmer que les élèves JPPJV réussissent tout autant que les autres étudiants, ni plus ni moins. La seule différence résulte dans leur orientation car nous enregistrons chez eux une appétence légèrement plus marquée pour la chose publique. Peut-être faut-il y voir une forme de reconnaissance vis-à-vis de l’école publique républicaine. Je souligne enfin que le programme est aussi bénéfique pour les élèves qui ont suivi la préparation JPPJV sans rentrer dans notre Institut. Ces derniers s’inscrivent à 54% dans des filières sélectives. C’est pour moi la preuve de l'effet d'entrainement d’un programme qui est certes encore perfectible mais qui porte en lui un principe vertueux de diversité qui honore toutes celles et ceux qui y participent.

TÉMOIGNAGES

Jean-Pierre Pinto, proviseur du lycée Jean Moulin à Langon

« Un travail au long cours »

« Nous participons depuis trois ans au programme JPPJV dont la diversité géographique se vérifie pleinement. L’accès à Sciences Po Bordeaux semble effectivement plus proche pour nos élèves grâce à ce dispositif. Nous avons vraiment à cœur de varier le profil des bénéficiaires. Ainsi, je reçois personnellement tous les élèves de seconde des milieux ouvriers qui, avec 14 de moyenne minimum, disposent du potentiel pour y participer. Or, nous devons reconnaître que notre discours passe difficilement auprès d’eux. Leurs réponses « on n'aime pas la politique » et « ce n’est pas pour nous » est tellement intériorisées ! Au même titre que Sciences Po Bordeaux, nous cherchons des parades à cette autocensure profonde. Si les sciences politiques sont très vendeuses pour les enfants issus de certains milieux, cela peut être l’effet inverse pour d’autres. Preuve qu’il faut continuer et trouver la bonne méthode pour leur dire que c’est possible pour eux ».

Emmanuel Ababsa, Proviseur du lycée Merleau Ponty de Rochefort

« Un marqueur de motivation et d'ambition »

« Nous participons à JPPJV depuis la fusion des régions, sachant que nous disposions au préalable d’un dispositif interne de même nature, plus étroit dans sa dimension. Les ressources du programme de Sciences Po Bordeaux nous ont permis d’adopter une stratégie sur plusieurs années et auprès d’un public plus large, tant en termes de diversité territoriale que sociale. Alors qu’auparavant nous intervenions au coup par coup auprès « des terminales », nous avons construit un parcours qui englobe aussi des élèves « de première » et, depuis cette rentrée, « de seconde ». Cette continuité dans le temps nous permet de lutter contre les formes d’autocensure de certains car le dispositif, méconnu au départ, est devenu visible et lisible de tous. Nous en avons fait un point d’appui et un marqueur de motivation et d’ambition scolaires et universitaires. Si nous sommes heureux d’enregistrer le succès d’un ou deux de nos candidat(e)s aux épreuves de Sciences Po Bordeaux, ce taux reste marginal au sein d’un établissement de 1400 lycéens comme le nôtre. En revanche, chaque année, nous comptons une trentaine d’élèves qui suit la préparation et acquiert la confiance nécessaire pour se projeter sur d’autres filières sélectives : classes Prépa, EHESS, etc. JPPJV étant bien intégré et pérennisé, nous en parlons lors de nos journées portes ouvertes, de façon à ouvrir des perspectives pour nos futurs élèves le plus tôt possible ».