Le dispositif JPPJV fête en cette année 2024-2025 ses 20 ans d’existence. La Nouvelle-Aquitaine – partenaire historique du dispositif – et Sciences Po Bordeaux ont organisé pour l’occasion à l’hôtel de Région le 16 octobre 2024 une journée dédiée à l’événement avec un riche programme : conférence des proviseurs et des équipes pédagogiques, bilan chiffré de deux décennies d’activités, projection pour l’année en cours, temps d’échange avec la salle ou encore témoignages de lycéens ou d’alumni. Avec, in fine, un mot d’ordre en guise de conclusion partagé par tous : le dispositif doit continuer et même, si possible, s’amplifier !
Né en 2004 sous la forme d’une expérimentation avec un seul établissement partenaire (le lycée Élie Faure à Lormont dans la banlieue bordelaise situé en zone d’éducation prioritaire), le projet n’a cessé ensuite de se développer. Il comptait 13 établissements dès la seconde année, puis 27 en 2014. La diversité sociale d’accès à Sciences Po Bordeaux constitue l’ADN de cette action au long cours, labellisée Cordée de la réussite par l’académie de Bordeaux et la Préfecture de région en 2008. La réforme territoriale de 2015 de fusion des régions a posé la question de son ouverture territoriale, l’autre de ses composantes essentielles aujourd’hui. En 2016, 13 nouveaux lycées issus des ex-régions Limousin et Poitou-Charentes rejoignent le mouvement aquitain. Celui-ci compte désormais 49 établissements participants à l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine et reçoit le soutien des académies de Bordeaux, Limoges et Poitiers. Les lycées concernés sont issus de tous les départements du territoire, dont ceux qui sont les plus éloignés géographiquement de la métropole bordelaise au sein de la plus vaste région de France.
Créé à une époque où l’ascenseur social montrait des signes de fragilité, le dispositif a perduré et s’est étoffé alors que le schéma de reproduction des élites n’a fait que se conforter. « Les inégalités ne se sont pas estompées depuis vingt ans. L’inflation que l’on vient de connaître et les tensions économiques actuelles n’améliorent pas la situation » confirme Yves Déloye, professeur de science politique et chargé de mission à l’égalité des chances au sein de l’Institut. « Même si les programmes d’égalité des chances figurent au menu de toutes les grandes écoles, des disparités notables sont observées selon les établissements. Les efforts sont insuffisants. Ce n’est pas un hasard si la Fondation Jean Jaurès a publié en septembre 2024 un rapport intitulé « Démocratiser les classes préparatoires aux grandes écoles - CPGE ». Dans le même temps, il faut reconnaître que la situation serait pire si aucune action n’avait été engagée. Celle de Sciences Po Bordeaux, rendue possible grâce à ses partenaires et à l’engagement des établissements participants, prend dès lors une signification particulière. Le dispositif prouve qu’il fonctionne sur le temps long, conjurant ainsi à son échelle la loi d’airain de la discrimination ».
Des destins éloquents, des chiffres marquants
Et Yves Déloye de raconter la réussite de cette enfant portugaise issue d’un milieu social très modeste qui est arrivée à l’âge de dix ans à Châtellerault sans connaître un mot de français et qui a intégré Sciences Po Bordeaux après le bac grâce à son talent et… à JPPJV. Plus de 500 autres bénéficiaires de ce programme d’égalité des chances ont intégré un Institut dont ils n’auraient probablement jamais imaginé ou osé pousser les portes sans l’accompagnement dispensé. Le dispositif a comme premier mérite celui « de casser les phénomènes de méconnaissance des grandes écoles et d’autocensure de la part de certaines typologies d’élèves » analyse Stéphane Allioux, proviseur du lycée de la Venise verte à Niort. Tous les protagonistes de l’action de Sciences Po Bordeaux louent à ce titre la valeur d’exemplarité du demi-millier d’anciens lycéens JPPJV diplômés ou en cours de scolarité. Des profils que Cécile Pellarini, directrice des admissions de l’établissement, connaît bien. En charge avec Yves Déloye de l’organisation de l’accompagnement JPPJV, elle-même ou un membre de son équipe se rendent chaque année dans les établissements. « Nous irons encore cette année à la rencontre de 25 lycées JPPJV, en sachant que tous ont déjà été visités par nos soins par le passé. À chaque fois, nous mobilisons une petite délégation à laquelle participe la Région à certaines dates. Les établissements que nous ne voyons pas une année bénéficient de la venue de l’association d’éloquence Hauts les Mots de Sciences Po Bordeaux qui organise des ateliers de prise de parole1 ». Bien rodé, le modus operandi s’enrichit d’une nouveauté en cette rentrée 2024-2025. « Pour rendre la présentation de l’école aux élèves, nous innovons avec l’instauration d’une simulation de conférence de méthodes qui constitue un marqueur fort de l’école apprécié des étudiants. La proximité fait partie intégrante de la réussite de ce programme d’ouverture sociale et territoriale ».
Le rôle clé des étudiants et des enseignants JPPJV
Cécile Pellarini souligne le rôle crucial des étudiants JPPJV de l’école qui accompagnent l’équipe de Sciences Po Bordeaux au sein des lycées. « Ils font part de leur expérience aux lycéens avec qui ils échangent, en leur rappelant qu’ils étaient à leur place il y a peu. Ils tiennent un discours de vérité qui fait écho auprès des élèves auxquels ils s’adressent et participent grandement au succès de ces rencontres ». Autre temps fort du dispositif : la visite de tous les participants des lycées – élèves et enseignants – à Sciences Po Bordeaux. Compte tenu du nombre de participants, deux dates sont calées chaque année pour accueillir tout le monde, soit 300 à 400 participants par session. « Nos étudiants JPPJV ainsi que l’association Hauts les Mots concourent à cette journée qui sensibilise beaucoup les lycéens et leur permettent de se projeter. Ils sont très favorablement surpris par la modernité de l’établissement et l’esprit qui y règne. Nous déjeunons tous ensemble, favorisant les discussions à bâtons rompus avec les étudiants. Nous leur présentons aussi la bibliothèque, les amphithéâtres ou encore les laboratoires de langues. Avant de partir, nous leur offrons une documentation et des goodies dont ils sont très fiers ». La directrice des admissions rend aussi hommage aux enseignants des lycées. « Beaucoup sont admirables. Leur engagement est tel qu’ils prennent parfois sur leur temps personnel pour préparer jusqu’au dernier moment nos candidats JPP à l’épreuve orale d’admission » indique-t-elle, non sans omettre de souligner l’autonomie totale dont ils jouissent pour « préparer les élèves ». « Nous ne nous immisçons pas dans leur pratique pédagogique. Nous leur apportons en revanche des conseils et des outils adaptés ». L’occasion ici de saluer le travail de Grégory Champeaud, coordinateur pédagogique Cordées de la réussite et responsable du centre de ressources JPPJV. Cet espace numérique contient des informations précieuses sur l’inscription à Sciences Po Bordeaux et le déroulement de l’oral d’admission. Il propose aussi des contenus de suivi de l’actualité et des podcasts en ligne.
Des étudiants comme les autres
D’hier à aujourd’hui, Sciences Po Bordeaux n’a jamais voulu rentrer dans une logique de discrimination positive à travers son dispositif JPPJV. Elle n’a donc pas organisé une voie spéciale pour les élèves recrutés, ni même réservé de places à leur intention. Ces derniers passaient jadis le sélectif concours de l’école. Depuis 2020, ils s’inscrivent via la plateforme Parcoursup et suivent les mêmes règles d’admissibilité et la phase d’admission que les autres. Une fois admis, une règle d’invisibilité les concernant prévaut, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas fiers de leur parcours, bien au contraire. Flora Jordi, diplômée en 2014, évoque d’ailleurs cette question dans son interview à lire ci-dessous. L’admission à Sciences Po Bordeaux des JPPJV soulève cependant l’épineuse question financière pour certains, 56 % d’entre eux étant boursiers de l’enseignement supérieur. La gratuité des frais d’inscription pour ces derniers et des tarifs réduits pour les autres apportent une première réponse, en sachant que ces étudiants peuvent bénéficier comme tous les élèves de l’école des nombreuses mesures sociales d’aides de Sciences Po Bordeaux2. À noter aussi le soutien de la Fondation Julienne Dumeste qui procure trois hébergements à loyer modéré aux jeunes issus du programme. En 2024-25, ces hébergements situés au centre de Bordeaux bénéficient à des élèves boursiers issus du programme JPPJV.
Au nombre de cinquante en 2024-2025, la cohorte JPPJV représente 15 % des effectifs de première année, un poids qui est loin d’être marginal. Quant à leur devenir, les statistiques démontrent qu’ils réussissent bien dans la vie, au même titre que les autres étudiants, ni plus, ni moins. 29 % poursuivent des études après leur diplomation, 93 % sont insérés professionnellement deux ans après leur sortie et 89 % bénéficient d’un statut de cadre. Autant de femmes et d’hommes qui peuvent affirmer que certaines grandes écoles de la République démocratisent leur recrutement sur l’autel de la méritocratie au prix d’un engagement fort, mais aussi de la mobilisation de moyens humains et financiers. « Il ne faudrait pas cependant que les dispositifs actuels d’égalité des chances servent d’alibi à des politiques qui ne veulent pas réduire fondamentalement les inégalités sociales et territoriales » prévient Yves Déloye. Le sujet reste d’actualité…
1 400 élèves rencontrés à travers 20 lycées en 2023-2024
2 Programmes OSE, BALAFON et FAIRE