01 février 2024|Recherche

Sciences Po Bordeaux et l'Afrique

Des liens par-delà les continents

Recherche, formation, ressources documentaires, échanges croisés d’enseignants-chercheurs, chaire spécialisée sur les diasporas africaines, collaboration étroite avec différentes organisations, séminaires d’actualité, vivier de doctorantes et doctorants… les liens entre Sciences Po Bordeaux et l’Afrique s’affranchissent des frontières et se renforcent toujours plus par-delà les continents.

D’où proviennent historiquement les liens étroits entre Bordeaux et l’Afrique ? Sans remonter aux temps immémoriaux des premières relations entre la ville et le continent africain, il est d’usage de rappeler le rôle de Bordeaux dans la traite atlantique. Une position renforcée par le statut de premier port colonial français à la veille de la Révolution française. Sur un plan plus académique, Bordeaux a eu au milieu du XXe siècle la responsabilité de la scolarité des Antilles-Guyane et d’une partie des pays d’Afrique. La création en 1949 d’un centre d’épreuves écrites de la licence en droit à Dakar (puis ensuite à Brazzaville et Douala) illustre les rapports entre l’Université de Bordeaux et le continent africain1. Ce contexte a de toute évidence favorisé la création en 1958 du Centre d’études d’Afrique noire (CEAN) au sein de Sciences Po Bordeaux. Porté par les professeurs Mabileau et Lavroff, ce laboratoire s’était fixé d’emblée l’objectif de développer des programmes de recherche interdisciplinaires relatifs aux problématiques juridiques, économiques, politiques et sociologiques de l’Afrique subsaharienne en y associant une activité d’enseignement. Cette première unité de recherche, auquel a succédé Les Afriques dans le monde (LAM) en 2011, a contribué à la réputation d’envergure internationale de Sciences Po Bordeaux sur le sujet.

LAM des Afriques

« Le CEAN avait très vite développé des études sur l’ensemble du sous-continent subsaharien, dans des pays francophones, mais aussi des pays anglophones, lusophones et arabophones. Le champ des investigations a ensuite été élargi à l’Afrique du Nord, également aux diasporas africaines sur le continent américain, dans la Caraïbe, en Europe. C’est ce que veut traduire le pluriel « les Afriques » de notre nom » explique David Ambrosetti, directeur du laboratoire. Lequel a conservé le précepte de multidisciplinarité, considérablement étoffé depuis. « LAM s’intéresse aux grands enjeux politiques, économiques et sociaux dans les sociétés et les diasporas africaines. Ces enjeux sont étudiés par le prisme des sciences sociales (anthropologie, économie, histoire, géographie, science politique, sociologie), de la littérature, du droit ». Marième N’Diaye, directrice adjointe du laboratoire, insiste à ce titre sur l’approche empirique approfondie menée par l’équipe bordelaise qui travaille avec des chercheuses et chercheurs d’universités de tous les pays d’Afrique. Sans oublier des liens avec le réseau du CNRS (GIS) réunissant les unités d’études africaines en France mais aussi en Europe (Université de Bayreuth, Université de Sarrebruck, réseau AEGIS, par exemple), en Amérique du Nord (Universités de Californie, d’Ottawa, de Montréal, Laval au Québec), au Brésil, en Haïti, en Inde, en Chine, etc. LAM est également devenu en 2022 une unité mixte de recherche de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) connu pour son approche terrain. Un travail collaboratif à rapprocher du Grand Programme de Recherche IPORA (Interdisciplinary Policy-Oriented Research on Africa) qui réunit l’Université de Bordeaux, l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire), l’Université d’Addis-Abeba (Éthiopie) et l’Université internationale de Rabat (Maroc). « Ce projet de grande envergure a pour objectif de développer et conduire des études interdisciplinaires pour aider les décideurs publics à faire face aux grandes mutations que traverse le continent africain. Il regroupe toutes les compétences sur l’Afrique de l’aire bordelaise, dont notre laboratoire LAM est un fer de lance » se félicite Dominique Darbon, le directeur de Sciences Po Bordeaux. D’une durée de huit ans, IPORA s’appuiera sur trois plateformes de coopération en Afrique dans les pays des universités partenaires, et donnera lieu à des programmes de recherche en santé publique, sciences sociales, science politique, économie et politique publique. Un dispositif de formation et de diplomation est aussi prévu, renforçant encore plus la visibilité de Sciences Po Bordeaux comme pôle de recherche majeur sur l’Afrique.

De la recherche à la formation et inversement

Les étudiants de Sciences Po Bordeaux bénéficient d’un terreau de spécialistes de l’Afrique à Sciences Po Bordeaux. « Notre laboratoire a très tôt développé une offre de formation, préparant aux métiers académiques, mais aussi à ceux du conseil, de l’analyse politique et économique, de l’analyse des risques, du développement. Cette spécialisation sur les Afriques a ainsi permis de développer une expertise plus globale sur « les Suds » confirme Etienne Smith, responsable du parcours de second cycle (Master) Risques et Développement aux Suds (RDS), l’un des seuls en France à bénéficier d’une aussi forte composante africaniste. Le laboratoire est aussi mis à contribution dans le cadre de la réforme pédagogique du 1er cycle de formation de l’école. Ainsi, des enseignants-chercheurs du LAM proposent des enseignements d’ouverture aux jeunes étudiants, sur les grands enjeux politiques et économiques dans les sociétés africaines, ou encore sur les relations internationales entre les acteurs africains et le reste du monde. Ces enseignements contribuent aussi à la volonté de l’établissement d’ouvrir les élèves de l’école à la culture scientifique. Autant d’occasions pour les chercheurs de LAM de corriger certaines idées préconçues sur le continent africain. « La mise en perspective de nos travaux aide certains étudiants à décentrer un regard souvent occidentalo-centré sur l’Afrique » souligne Rozenn Nakanabo Diallo, enseignante-chercheure à Sciences Po Bordeaux / LAM.

Une richesse documentaire exceptionnelle

Sciences Po Bordeaux doit aussi à sa richesse documentaire le statut de place forte parmi les spécialistes du continent africain dans le petit monde des africanistes. Le fonds LAM à la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux abrite quelque 30 000 titres d'ouvrages, dont 16 000 en accès libre en salle de lecture. 4 500 de ces documents ne sont disponibles en France que dans les murs de l’école. À cela s'ajoute la réintégration progressive de 4 500 ouvrages spécialisés n’apparaissant pas encore sur le catalogue, renforçant ainsi un capital de très grande valeur. LAM reçoit d’ailleurs chaque année entre 20 et 40 visiteurs étrangers invités à séjourner au laboratoire pour plusieurs semaines, souvent en provenance d’universités africaines, pour qui l’accès au fonds documentaire de LAM constitue une motivation importante : préparation d’un texte scientifique, candidature académique … La bibliothèque de l’Institut est aussi sollicitée pour des prêts de documents dans le cadre d’expositions inédites, comme cela a été le cas avec l’exposition dédiée au photographe ghanéen James Barnor actuellement visible à Anvers, l'exposition Globalisto à Saint-Etienne ou l'exposition Fela Kuti à la Cité de la Musique. Un autre indicateur confirme l’intérêt pour les travaux des Afriques dans le Monde. 80 000 téléchargements d’articles, auxquels s’ajoutent plus de 50 000 consultations de notices, sont actuellement enregistrés chaque année, depuis différentes parties du monde, essentiellement en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord.

Un rayonnement à 360°

Les liens entre Sciences Po Bordeaux et l’Afrique s’expriment aussi par le truchement de collaborations multiples, tournées vers la coproduction et la diffusion des connaissances. La chaire Diasporas africaines l’illustre. Elle a été créée à LAM en 2019, à Sciences Po Bordeaux, par Etienne Smith et Alessandro Jedlowski, enseignants-chercheurs de l’établissement, avec le soutien du Ministère de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Elle a aujourd’hui trouvé une seconde vie à l’Université Bordeaux Montaigne, sous la direction de Sylvère Mbondobari et Sylvain Racaud, enseignants-chercheurs en littérature et en géographie avec le soutien de la Région Nouvelle Aquitaine. L’Institut des Afriques (IDAF) joue un rôle clé dans ces activités d’animation et de médiation scientifique. L’IDAF se consacre en effet à l’organisation d’événements culturels dans la région Nouvelle Aquitaine. Expositions, rencontres-débats ou projections-débats dans les cinémas (Utopia notamment) sont autant d’opportunités inestimables pour ouvrir les travaux des chercheurs spécialistes des Afriques à des publics plus larges. Le Musée d’Aquitaine propose également des séminaires d’actualité organisés par LAM permettant de croiser différents points de vue (universitaire, société civile, praticiens) sur de grands enjeux intéressant à la fois le continent africain et notre contexte français / européen : restitution des œuvres culturelles, place de la jeunesse, transitions viticoles, politique africaine de la France, justices et féminismes, etc. L’événement permet aussi d’aborder des actualités proprement africaines intéressant les publics connaisseurs du continent et les diasporas : utopies africaines, coups d’États, émergences africaines, grands scrutins électoraux etc. Le prochain séminaire, programmé le 15 février 2024, est dédié aux élections présidentielles au Sénégal (entrée libre). Deux autres séances suivront, l’une sur le thème « Nourrir les villes africaines » et l’autre sur « l’Afrique et le sport ». LAM joue enfin un rôle important de professionnalisation par et pour la recherche via l’accompagnement d’une soixantaine de doctorantes et doctorants.

Recherche, formation, ressources documentaires, échanges croisés d’enseignants-chercheurs, chaire spécialisée sur les diasporas africaines, collaboration étroite avec différentes organisations, séminaires d’actualité, vivier de doctorantes et doctorants… les liens entre Sciences Po Bordeaux et l’Afrique s’affranchissent des frontières et se renforcent toujours plus par-delà les continents.

 

1 Source : Les relations des Universités et centres de formation de Bordeaux avec l'Outre-Mer. Persée.fr

Témoignages

Lire aussi les témoignages de deux doctorant·e·s : Margaux Lombard et Amadou Tidiane Thiello.

Margaux Lombard : « Étudier les Afriques depuis la France (et spécifiquement Bordeaux) est loin d’être anodin »

Qu’est-ce qui vous attire dans la recherche et, plus spécifiquement, dans les thématiques et le fonctionnement du laboratoire LAM ?

La recherche me permet d’approfondir, pendant plusieurs années et avec beaucoup de liberté, un sujet qui me passionne ; de me former à des méthodes d’enquêtes en sciences sociales ; de me doter d’outils critiques pour affiner ma compréhension d’enjeux politiques et sociétaux, grâce à des lectures et des rencontres scientifiques. Le LAM est un laboratoire interdisciplinaire avec des axes de recherches très variés. Celui dont je me sens le plus proche par mes recherches est l’Axe 3 Imaginaires, arts, subjectivités, mais le fonctionnement du laboratoire et les divers séminaires permettent des dialogues et des croisements entre des disciplines, des thématiques et des approches différentes, ce qui est très stimulant. 

En quoi l’Afrique et Les Afriques dans le monde représentent-ils des sujets de recherche passionnants et en quoi le fait d’étudier depuis Sciences Po Bordeaux est un atout (ou pas) ?

Les recherches qui ont un lien avec l’Afrique et les mondes afrodiasporiques sont encore trop peu présentes en France, souvent marginalisées et cantonnées à un espace spécifique, particulier. Pourquoi dit-on « africaniste » (le terme étant à juste titre questionné aujourd’hui) et pas « européiste » ? Le continent africain est encore trop souvent appréhendé comme un tout homogénéisé, alors que ces champs de recherches sont éminemment multiples, passionnants, et permettent de mieux comprendre nos sociétés contemporaines, en particulier depuis la France où l’eurocentrisme des savoirs domine. LAM offre des espaces de décloisonnement (dans le cadre du cycle de séminaires de la Chaire Diasporas Africaines, j’ai par exemple pu inviter une chercheuse qui travaille sur la danse contemporaine palestinienne). Le fait d’étudier à Sciences Po Bordeaux est un atout incontestable en termes de moyens et de réseaux à la fois en France et à l’international. On ne peut pas dire cela sans souligner l’asymétrie à l’œuvre dans le champ académique entre l’Europe et les Afriques en l’occurrence, qu’il s’agisse de la circulation des chercheurs ou des savoirs. Tout comme on ne peut pas oublier que le fait « d’étudier » les Afriques depuis la France (et spécifiquement Bordeaux) est loin d’être anodin, au regard de l’histoire coloniale et post-coloniale. 

Sur un plan plus personnel, quel soutien vous apporte le laboratoire dans votre cursus, dont on sait qu’il est long et pas forcément évident en termes d’insertion professionnelle ? 

Le monde de la recherche est en effet précaire et sélectif, et cela ne va pas en s’améliorant. Dans le cas des doctorant(e)s, cette précarité peut être redoublée selon que l’on est financé(e) ou pas, entre autres inégalités. Le LAM apporte un soutien à plusieurs niveaux pour la bonne conduite des recherches et l’insertion professionnelle, notamment un soutien financier et administratif pour les terrains et la participation à des colloques scientifiques en France et à l’international, ou encore pour la diffusion de nos travaux. Le fait de faire mon doctorat dans un cadre comme LAM me permet d’acquérir un certain nombre de compétences qui pourront me servir à la fois dans le monde académique et dans le monde professionnel non-académique. 

Les travaux de recherche de Margaux Lombard
Margaux Lombard est doctorante en science politique au LAM en co-tutelle avec l’Université de Lausanne (UNIL). Ses recherches portent sur les effets des financements d’institutions françaises sur les projets artistiques, à travers l’étude d’un programme de coopération culturelle de l’Agence Française de Développement et de l’Institut français à destination de plusieurs pays africains. Elle s’intéresse à la fois aux ressorts politiques de ce programme, à la manière dont les artistes et « opérateurs culturels » s’en saisissent, et aux traductions pratiques qui en découlent. 

Amadou Tidiane Thiello : « Une institution qui fait référence »

Qu’est-ce qui vous attire dans la recherche et, plus spécifiquement, dans les thématiques et le fonctionnement du laboratoire LAM ?

La recherche en science politique m'a toujours intéressé. L’envie de creuser, d’aller au fond des choses et de découvrir la complexité de certaines réalités, de manière scientifiquement rigoureuse, m’a toujours passionnée. Le choix du laboratoire LAM était pour moi évident. LAM est une référence en termes de recherche sur des thématiques qui touchent l’Afrique et les Afriques. Personnellement, travaillant sur le transnationalisme politique des diasporas sénégalaises en France et en Italie, mes questions de recherche sont en parfaite cohérence avec les axes de recherche du laboratoire notamment l’Axe 2 Espaces, (im)mobilités, diasporas. Être doctorant rattaché à ce laboratoire, où la plupart des chercheurs travaillant sur des aires géographiques similaires avec plus ou moins des objets d’étude liés, est un atout non négligeable dans l’apprentissage et dans la socialisation académique.

En quoi l’Afrique et Les Afriques dans le monde représentent-ils des sujets de recherche passionnants et en quoi le fait d’étudier depuis Sciences Po Bordeaux est un atout (ou pas) ?

Les objets de recherche portant sur l’Afrique ont toujours attiré mon attention et aiguisé ma curiosité de par leur spécificité supposée ou réelle. Envisager une recherche “sur” l’Afrique et les Afriques dans le monde permet d’éviter la tentation de projeter facilement et naïvement des clichés sur ces aires géographiques parfois méconnues. Une recherche “sur” l’Afrique est un défi pour aller au-delà de ce qui semble relever de l’évidence. Subséquemment des découvertes au terme de la recherche, une étude sur l'Afrique est un moyen de déconstruire des idées préconçues. Par ailleurs, via LAM et CED, Sciences Po Bordeaux a acquis une solide réputation dans la qualité des travaux sur les questions liées à l’Afrique et les Afriques de manière générale. Étudier depuis Sciences Po Bordeaux, c’est intégrer une institution largement reconnue dans le monde académique qui fait office de référence. Sciences Po Bordeaux permet de développer un vaste réseau avec des chercheurs/chercheuses qui viennent d'horizons différents.

Sur un plan plus personnel, quel soutien vous apporte le laboratoire dans votre cursus, dont on sait qu’il est long et pas forcément évident en termes d’insertion professionnelle ? 

Le soutien du laboratoire sur le plan personnel est fondamental. Le laboratoire permet l’accès à l’essentiel des ressources nécessaires à la réalisation de ma thèse. C’est le laboratoire qui finance les terrains de thèse en termes de déplacements et de logements. En tant que doctorant rattaché à LAM, le laboratoire m'accompagne également dans la participation à toutes les manifestations scientifiques. Cet appui est non négligeable mais il reste toutefois insuffisant pour les doctorants qui ne bénéficient pas de financements. Par ailleurs, en tant qu'étudiant étranger, le laboratoire peut m’accompagner dans mes démarches administratives comme le renouvellement du titre de séjour (qui constitue une épée de Damoclès pour les étudiants étrangers). D’ailleurs, cet accompagnement gagnerait à être systématique. Les différents soutiens qu’apporte le laboratoire constituent un gage pour étudier de manière sereine et acquérir plusieurs compétences valorisables au terme de la thèse.

La thèse d’Amadou Tidiane Thiello
Sa thèse a pour titre L’engagement militant et ses (dis)continuités géographiques et générationnelles : analyse de la politisation et de la participation politique des migrants sénégalais en France et en Italie. Elle se donne pour objectif d’analyser, dans une perspective comparative, dans quelle mesure la politisation et la participation politique des migrants sénégalais varient selon qu’ils résident en Italie ou en France. Le projet de thèse pose ainsi plusieurs questions : l’influence des pays de résidence sur le migrant ; le rapport du migrant à la politique dans le pays de départ et dans le pays d’origine ; les variations et les permanences de politisation en termes de nature et d’intensités entre premières et deuxièmes générations ; la typologie des profils sociodémographiques qui participent politiquement. Ce travail a pour objectifs d’identifier et d’analyser les ressemblances et les dissemblances de l’engagement militant des migrants sénégalais en Italie et en France.