D’où proviennent historiquement les liens étroits entre Bordeaux et l’Afrique ? Sans remonter aux temps immémoriaux des premières relations entre la ville et le continent africain, il est d’usage de rappeler le rôle de Bordeaux dans la traite atlantique. Une position renforcée par le statut de premier port colonial français à la veille de la Révolution française. Sur un plan plus académique, Bordeaux a eu au milieu du XXe siècle la responsabilité de la scolarité des Antilles-Guyane et d’une partie des pays d’Afrique. La création en 1949 d’un centre d’épreuves écrites de la licence en droit à Dakar (puis ensuite à Brazzaville et Douala) illustre les rapports entre l’Université de Bordeaux et le continent africain1. Ce contexte a de toute évidence favorisé la création en 1958 du Centre d’études d’Afrique noire (CEAN) au sein de Sciences Po Bordeaux. Porté par les professeurs Mabileau et Lavroff, ce laboratoire s’était fixé d’emblée l’objectif de développer des programmes de recherche interdisciplinaires relatifs aux problématiques juridiques, économiques, politiques et sociologiques de l’Afrique subsaharienne en y associant une activité d’enseignement. Cette première unité de recherche, auquel a succédé Les Afriques dans le monde (LAM) en 2011, a contribué à la réputation d’envergure internationale de Sciences Po Bordeaux sur le sujet.
LAM des Afriques
« Le CEAN avait très vite développé des études sur l’ensemble du sous-continent subsaharien, dans des pays francophones, mais aussi des pays anglophones, lusophones et arabophones. Le champ des investigations a ensuite été élargi à l’Afrique du Nord, également aux diasporas africaines sur le continent américain, dans la Caraïbe, en Europe. C’est ce que veut traduire le pluriel « les Afriques » de notre nom » explique David Ambrosetti, directeur du laboratoire. Lequel a conservé le précepte de multidisciplinarité, considérablement étoffé depuis. « LAM s’intéresse aux grands enjeux politiques, économiques et sociaux dans les sociétés et les diasporas africaines. Ces enjeux sont étudiés par le prisme des sciences sociales (anthropologie, économie, histoire, géographie, science politique, sociologie), de la littérature, du droit ». Marième N’Diaye, directrice adjointe du laboratoire, insiste à ce titre sur l’approche empirique approfondie menée par l’équipe bordelaise qui travaille avec des chercheuses et chercheurs d’universités de tous les pays d’Afrique. Sans oublier des liens avec le réseau du CNRS (GIS) réunissant les unités d’études africaines en France mais aussi en Europe (Université de Bayreuth, Université de Sarrebruck, réseau AEGIS, par exemple), en Amérique du Nord (Universités de Californie, d’Ottawa, de Montréal, Laval au Québec), au Brésil, en Haïti, en Inde, en Chine, etc. LAM est également devenu en 2022 une unité mixte de recherche de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) connu pour son approche terrain. Un travail collaboratif à rapprocher du Grand Programme de Recherche IPORA (Interdisciplinary Policy-Oriented Research on Africa) qui réunit l’Université de Bordeaux, l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire), l’Université d’Addis-Abeba (Éthiopie) et l’Université internationale de Rabat (Maroc). « Ce projet de grande envergure a pour objectif de développer et conduire des études interdisciplinaires pour aider les décideurs publics à faire face aux grandes mutations que traverse le continent africain. Il regroupe toutes les compétences sur l’Afrique de l’aire bordelaise, dont notre laboratoire LAM est un fer de lance » se félicite Dominique Darbon, le directeur de Sciences Po Bordeaux. D’une durée de huit ans, IPORA s’appuiera sur trois plateformes de coopération en Afrique dans les pays des universités partenaires, et donnera lieu à des programmes de recherche en santé publique, sciences sociales, science politique, économie et politique publique. Un dispositif de formation et de diplomation est aussi prévu, renforçant encore plus la visibilité de Sciences Po Bordeaux comme pôle de recherche majeur sur l’Afrique.
De la recherche à la formation et inversement
Les étudiants de Sciences Po Bordeaux bénéficient d’un terreau de spécialistes de l’Afrique à Sciences Po Bordeaux. « Notre laboratoire a très tôt développé une offre de formation, préparant aux métiers académiques, mais aussi à ceux du conseil, de l’analyse politique et économique, de l’analyse des risques, du développement. Cette spécialisation sur les Afriques a ainsi permis de développer une expertise plus globale sur « les Suds » confirme Etienne Smith, responsable du parcours de second cycle (Master) Risques et Développement aux Suds (RDS), l’un des seuls en France à bénéficier d’une aussi forte composante africaniste. Le laboratoire est aussi mis à contribution dans le cadre de la réforme pédagogique du 1er cycle de formation de l’école. Ainsi, des enseignants-chercheurs du LAM proposent des enseignements d’ouverture aux jeunes étudiants, sur les grands enjeux politiques et économiques dans les sociétés africaines, ou encore sur les relations internationales entre les acteurs africains et le reste du monde. Ces enseignements contribuent aussi à la volonté de l’établissement d’ouvrir les élèves de l’école à la culture scientifique. Autant d’occasions pour les chercheurs de LAM de corriger certaines idées préconçues sur le continent africain. « La mise en perspective de nos travaux aide certains étudiants à décentrer un regard souvent occidentalo-centré sur l’Afrique » souligne Rozenn Nakanabo Diallo, enseignante-chercheure à Sciences Po Bordeaux / LAM.
Une richesse documentaire exceptionnelle
Sciences Po Bordeaux doit aussi à sa richesse documentaire le statut de place forte parmi les spécialistes du continent africain dans le petit monde des africanistes. Le fonds LAM à la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux abrite quelque 30 000 titres d'ouvrages, dont 16 000 en accès libre en salle de lecture. 4 500 de ces documents ne sont disponibles en France que dans les murs de l’école. À cela s'ajoute la réintégration progressive de 4 500 ouvrages spécialisés n’apparaissant pas encore sur le catalogue, renforçant ainsi un capital de très grande valeur. LAM reçoit d’ailleurs chaque année entre 20 et 40 visiteurs étrangers invités à séjourner au laboratoire pour plusieurs semaines, souvent en provenance d’universités africaines, pour qui l’accès au fonds documentaire de LAM constitue une motivation importante : préparation d’un texte scientifique, candidature académique … La bibliothèque de l’Institut est aussi sollicitée pour des prêts de documents dans le cadre d’expositions inédites, comme cela a été le cas avec l’exposition dédiée au photographe ghanéen James Barnor actuellement visible à Anvers, l'exposition Globalisto à Saint-Etienne ou l'exposition Fela Kuti à la Cité de la Musique. Un autre indicateur confirme l’intérêt pour les travaux des Afriques dans le Monde. 80 000 téléchargements d’articles, auxquels s’ajoutent plus de 50 000 consultations de notices, sont actuellement enregistrés chaque année, depuis différentes parties du monde, essentiellement en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord.
Un rayonnement à 360°
Les liens entre Sciences Po Bordeaux et l’Afrique s’expriment aussi par le truchement de collaborations multiples, tournées vers la coproduction et la diffusion des connaissances. La chaire Diasporas africaines l’illustre. Elle a été créée à LAM en 2019, à Sciences Po Bordeaux, par Etienne Smith et Alessandro Jedlowski, enseignants-chercheurs de l’établissement, avec le soutien du Ministère de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Elle a aujourd’hui trouvé une seconde vie à l’Université Bordeaux Montaigne, sous la direction de Sylvère Mbondobari et Sylvain Racaud, enseignants-chercheurs en littérature et en géographie avec le soutien de la Région Nouvelle Aquitaine. L’Institut des Afriques (IDAF) joue un rôle clé dans ces activités d’animation et de médiation scientifique. L’IDAF se consacre en effet à l’organisation d’événements culturels dans la région Nouvelle Aquitaine. Expositions, rencontres-débats ou projections-débats dans les cinémas (Utopia notamment) sont autant d’opportunités inestimables pour ouvrir les travaux des chercheurs spécialistes des Afriques à des publics plus larges. Le Musée d’Aquitaine propose également des séminaires d’actualité organisés par LAM permettant de croiser différents points de vue (universitaire, société civile, praticiens) sur de grands enjeux intéressant à la fois le continent africain et notre contexte français / européen : restitution des œuvres culturelles, place de la jeunesse, transitions viticoles, politique africaine de la France, justices et féminismes, etc. L’événement permet aussi d’aborder des actualités proprement africaines intéressant les publics connaisseurs du continent et les diasporas : utopies africaines, coups d’États, émergences africaines, grands scrutins électoraux etc. Le prochain séminaire, programmé le 15 février 2024, est dédié aux élections présidentielles au Sénégal (entrée libre). Deux autres séances suivront, l’une sur le thème « Nourrir les villes africaines » et l’autre sur « l’Afrique et le sport ». LAM joue enfin un rôle important de professionnalisation par et pour la recherche via l’accompagnement d’une soixantaine de doctorantes et doctorants.
Recherche, formation, ressources documentaires, échanges croisés d’enseignants-chercheurs, chaire spécialisée sur les diasporas africaines, collaboration étroite avec différentes organisations, séminaires d’actualité, vivier de doctorantes et doctorants… les liens entre Sciences Po Bordeaux et l’Afrique s’affranchissent des frontières et se renforcent toujours plus par-delà les continents.
1 Source : Les relations des Universités et centres de formation de Bordeaux avec l'Outre-Mer. Persée.fr