Les fragilités psychologiques des étudiants en France ne datent pas d’hier. Elles avaient été pointées du doigt dès 2010 dans une étude triennale réalisée par l’Observatoire national de la vie étudiante. Le phénomène a été corroboré depuis par des enquêtes et des sondages. Cette problématique a pris une nouvelle dimension avec la crise sanitaire, dont la presse s’était fait largement l’écho. Si le soufflet médiatique est retombé depuis, la situation après le dernier confinement ne semble pas s’améliorer, comme l’indique l’enquête santé des étudiants de Sciences Po Bordeaux de mars 2022. La précédente – la première du genre au sein de l’école - avait été effectuée en plein premier confinement. Analysés avec soin, ces résultats exigent une certaine prudence. D’abord parce qu’il s’agit d’une enquête déclarative – et donc subjective - sur la perception que les étudiants ont de leur santé. Ensuite parce que le taux de réponse représente 26% des étudiants. Pour autant, ce quota de 530 étudiants s’avère suffisamment significatif pour tirer des enseignements précieux et mesurer leur évolution.
Que nous dit l'enquête de Sciences Po Bordeaux sur la santé des étudiants de l'école ?
Premier point à rappeler : les étudiants de Sciences Po Bordeaux estiment majoritairement que leur santé est « bonne ou excellente » (57%). À l’inverse, 1% seulement la considère « mauvaise », 12% « fragile » et 30% « moyenne ». Néanmoins, de nombreux chiffres interpellent à juste raison la communauté pédagogique, notamment parce qu’ils sont en hausse par rapport à 2020. Ainsi, 52% disent se sentir « angoissés souvent voire en permanence » (+4%), 38% « dépassés souvent voire en permanence (+6%) » et 16% « seuls souvent voire en permanence » (+7%). Un dernier chiffre montre l’acuité de la situation : 17% des élèves qui ont répondu affirment avoir « souffert d’idées suicidaires » et ce, bien avant la chanson L’enfer de Stromae. Autant d’indicateurs qui expliquent la mobilisation de l’école. « Sciences Po Bordeaux se préoccupe de la santé physique et psychique de ses étudiants depuis des années. Il est indéniable que la crise sanitaire, et plus largement les tensions sociétales, ont poussé l’établissement à amplifier et à accélérer ses actions » explique Laetitia Hippeau. La jeune femme, psychologue du travail et de l’orientation, a intégré l’établissement en 2016. Elle est soutenue par une équipe au sein de laquelle on peut citer Floriane Reilhan, ingénieure prévention des risques et développement durable, et Christophe Prévot, chargé de la vie étudiante et associative. Mais ce sont bien tous les services internes en lien avec les étudiants qui sont mobilisés, de la scolarité au pôle carrière et partenariat. A l’image de la frise ci-dessous, une dizaine d’actions phares ont été mises en œuvre ces dernières années à travers un dispositif qui s’étoffe d’année en année et résumé dans le bilan Qualité de Vie au Travail (QVT) 2022 de l’école.
Lutter contre le déni et le silence
Ces mesures, directement ou indirectement, œuvrent à la mise en place de mécanismes de prévention, d’aide et de prise en charge en matière de santé et de sécurité pour les étudiants, mais aussi pour le personnel, qu’il soit enseignant ou administratif. Sachant que si certains étudiants expriment leurs souffrances, une partie reste dans le déni ou le silence. « Nous cherchons à décloisonner notre approche de la santé et faire en sorte que la mobilisation soit l’affaire de tous ». Illustration concrète au sein de l’établissement avec la mise en place de sessions d’information et de formation à destination des enseignants et agents administratifs en contact direct avec les étudiants et de certifications secouristes en santé mentale. « L’objectif est de les sensibiliser à la santé des étudiants et de leur donner des clés pour être en capacité d’être à l’écoute d’un(e) étudiant(e) en difficulté dans une logique de sentinelle, pour leur permettre de les accueillir avec bienveillance et les orienter avec précision » poursuit Laetitia Hippeau. Le besoin d’accompagnement, au sens psychologique du terme, est peut-être encore prégnant dans les grandes écoles où la charge mentale est souvent aiguë. « On sait que nos étudiants se mettent une pression parfois difficilement supportable en raison d’un éventuel échec scolaire. D’autres souffrent du complexe de l’imposteur ». Cette dernière observe en outre des problématiques différentes selon les années d’études, comme le démontre le schéma ci-dessous. Avec en outre l’apparition de phénomènes nouveaux. « Nous avons décelé des difficultés nouvelles chez les premières années suite à la Covid-19 qui étaient moins marquées chez les générations précédentes : procrastination exacerbée, difficulté d’organisation, fatigue permanente, anxiété… » confirme la psychologue de Sciences Po Bordeaux.
Aucune souffrance n'est taboue
Face à cette situation, la position de l’institut consiste à la fois à écouter toutes les souffrances dans une logique curative et, bien évidemment, à privilégier les actions préventives. 1088 entretiens santé ont été assurés depuis 2018 par la psychologue de Sciences Po Bordeaux et les prestataires psychologues. De gros efforts ont aussi été effectués dans le domaine des violences sexistes et sexuelles (VSS). Sous la houlette des chargées de mission égalité femme-homme, et notamment de Magali Della Sudda depuis septembre 2021, des actions concrètes ont été mises en œuvre et un gros travail de sensibilisation se déploie dans l’établissement, dont la mise en place de groupes de parole ou une formation VSS assurés auprès de tous les élèves primo-accédants depuis la rentrée 2021. Une plateforme de signalement propre à l’établissement verra par ailleurs le jour à la rentrée prochaine. Sachant que les volets « orientation professionnelle » (52%) et « échec scolaire » (48%) constituent les deux premières causes du mal-être des étudiants selon la dernière enquête santé, Sciences Po Bordeaux développe également des actions particulières dans ces domaines. Depuis quatre ans, des modules d’orientation auprès des étudiants volontaires en filières binationales sont organisés par petits groupes. Trois séances annuelles sont animées par du personnel de l’établissement pendant la 3e année d’études. Elles donnent l’occasion aux participants de réfléchir à leurs centres d’intérêt, de découvrir des métiers et de se projeter vers le master de leur choix de façon sereine et positive. Une initiative à rapprocher du Pôle Carrières & Partenariats qui organise de son côté des sessions de gestion du stress, sophrologie, sommeil et préparation aux examens. Si les difficultés financières arrivent parmi les derniers facteurs d’angoisse cités par les étudiants (12%), cela n’empêche pas l’école de prendre en compte cette difficulté avec son dispositif FAIRE d’aides financières.
Tendre vers le bien-être étudiant
Pour autant, comment peut-on gérer le mal-être étudiant quand celui-ci résulte de facteurs exogènes à l’institut ? « Nous ne pouvons pas agir directement sur cette source extérieure à l’école. En revanche, nous aidons les étudiants à avoir une autre lecture des événements, à faire preuve de discernement et à prendre conscience qu’ils peuvent agir sur leur perception des choses » souligne Laetitia Hippeau. À ce titre, Sciences po Bordeaux se mobilise pour tendre vers le bien-être des étudiants. Si aucune définition officielle n’existe pour qualifier ce terme, l’établissement intègre dans cette notion une dimension de satisfaction et d’épanouissement personnel qui dépasse les seuls critères de santé physique. L’idée est de donner aux étudiants les moyens de se sentir suffisamment bien et positif pour être en capacité de gérer les moments difficiles en agissant sur leur environnement. On citera à ce titre la mise en avant à chaque rentrée universitaire en septembre d’un « moi (s) de l’intégration » qui permet à chaque étudiant de découvrir toutes les associations de l’école et de nouer très vite du lien avec ses pairs. Créer du lien, c’est aussi le rôle des étudiants relais santé de l’Espace santé étudiant qui assurent une mission précieuse d’information, de sensibilisation et d’orientation avec les professionnels du soin. Lisa Ovsepian, élève de Sciences Po Bordeaux et ERS, nous explique ci-dessous concrètement sa mission.